Le 103 rue de Turenne, à la pointe Turenne-Vieille du Temple (IIIe) (Photo VlM)
Cet immeuble n'a l'air de rien. Il héberge sagement un magasin "Bio c' Bon" qui a ouvert en 2014 et qui semble prospérer depuis. (notre article du 15/08/2014)
Il n'en a pas été toujours ainsi.
En 1997, les 800 m² de locaux de l'immeuble se trouvent vacants. Le Maire du IIIe, Pierre Aidenbaum, s'y intéresse avec l'intention de créer des logements. Prêt à en faire l'acquisition dès l’installation de Bertrand Delanoë à l'Hôtel de Ville, il essuie en 2002 un refus de la part de la propriétaire, Monique Piffaut, présidente de la holding "Financière Turenne Lafayette", qui possède les marques William Saurin, Garbit, Panzani, Gringoire-Bossard et autres. Les gens du quartier affirment qu'elle est personnellement attachée à cet immeuble qui a appartenu à ses parents et où elle a passé elle-même une partie de sa jeunesse. En réplique, elle indique qu’elle a un projet de réhabilitation.
C'était son droit. En réponse, Pierre Aidenbaum brandit la menace d'expropriation pour cause de vétusté et "d'abandon manifeste", un statut qui donne aux municipalités la possibilité de récupérer un bien.
Décidée à ne pas abandonner, Mme Piffaut lance un programme de travaux qui lui en coûte 3 Millions d'€. Juste de quoi éviter l'expropriation. Elle met l'immeuble sur le marché mais exige de le louer d'un seul tenant pour un montant annuel de 500.000 €. Du côté de la mairie, on pense qu'il s'agit en réalité d'une offre dissuasive destinée à décourager tout loueur potentiel. C'est là que les déboires sérieux commencent.
En 2010, des familles de mal-logés prennent possession de l'immeuble et occupent l'ensemble des locaux. Leur collectif qui a pris le nom de "chez Madame", définit leur geste comme une "réquisition citoyenne". Leurs noms sont collés sur les boutons de sonnette de la porte d'entrée. Des Roms s'installent sur le trottoir dans des campements de fortune. Au rez-de-chaussée, une équipe d'artistes prend possession des lieux et organise des expositions.
ZAZ, l'organisateur de l'exposition de décembre 2010 retire une affiche sauvage (photo VlM)
Cette situation a duré plus d'un an. Le 20 mai 2011, sur décision de justice, les occupants étaient expulsés. La propriétaire fit valoir devant le tribunal qu'un bail avait été conclu avec un locataire et qu'elle se devait de l'honorer.
C'est en 2013 que Bio c' Bon a pris la décision d'ouvrir son magasin à cette adresse. Nous ne saurions affirmer qu'il n'y a eu aucun locataire dans l'intervalle mais c'est plausible. On se réjouit qu'une activité se soit installée dans ce qui a ressemblé trop longtemps au château de la Belle au bois dormant. Quant à la quinzaine d'occupants qui espéraient une solution plus ou moins durable basée sur un accord d'occupation précaire, on ignore si une solution pérenne a été trouvée pour eux, mais on l'espère.
Rien ne laisse deviner aujourd'hui que ces évènements se sont succédé il n'y a pas si longtemps. On ne voit plus aucune affiche vantant les mérites de la choucroute William Saurin ou du couscous Garbit mais au-dessus de la porte d'entrée du 103 rue de Turenne on peut lire encore en relief l'inscription "CCA" qui voulait dire "Comptoir Commercial Alimentaire", l'ancien nom de la "Financière Turenne Lafayette" que dirige toujours Mme Monique Piffaut.
Gérard Simonet