Qu'on soit ou non d'un naturel confiant, la vue de ces dépôts chimiques autour des cheminées d'évacuation des gaz, tout près des fenêtres, crée une angoisse légitime. Laboratoire Boudet et Dussaix, 3 rue des Haudriettes (IIIe) - cour intérieure
On a tous de la sympathie pour les artisans. A fortiori quand on a le sentiment d'assister à leur disparition progressive, ce que nous constatons dans le Marais depuis les années 90. Au numéro 3 de la rue des Haudriettes, dans le IIIe, c'est un fondeur-essayeur d'or qui est installé depuis toujours et qui, contrairement à d'autres, a l'intention d'y rester.
L'immeuble était privé jusqu'à son rachat en 2001 par la Ville de Paris pour en faire du logement social. Les baux existants ont été maintenus. A ce titre, l'artisan Boudet-Dussaix, fondeur-essayeur a conservé l'usage de l'atelier qui occupe une partie du rez-de-chaussée et un appentis qui le prolonge dans la cour de l'immeuble.
Beaucoup ignorent ce que font ces spécialistes car il s'agit d'une profession rare : ils fondent les métaux précieux (or, platine, argent et palladium) à partir de déchets industriels ou de bijoux, ils les purifient et les coulent en lingots poinçonnés qui garantissent leur nature, leur poids et leur titre. Cette responsabilité, qui fait l'objet d'un agrément de la Banque de France, est celle des "essayeurs".
Ils doivent, du fait des métaux qu'ils travaillent, s'entourer de protections contre les agression et le vol. Le risque qu'ils assument est élevé. Le 2 décembre 2012, des malfaiteurs ont attaqué l'employé chargé de l'ouverture de l'atelier et l'ont froidement assassiné... L'entreprise avait déjà fait la une des journaux dans les années 80 où elle coulait les lingots d'or de la Banque de France, avec une tentative de cambriolage spectaculaire par les égouts de la Ville !
Il reste, en dépit de la sympathie qu'on a pour eux, que les dépôts qui sont visibles le long des cheminées soulèvent des craintes légitimes pour la santé des habitants qui résident au voisinage des extracteurs de fumées. Pis encore, l'immeuble abrite une crèche de 22 berceaux dont les enfants s'ébattent régulièrement dans la cour !
Les résidents, réunis en collectif, s'en sont préoccupés. En 2017 ils écrivaient au Préfet de police pour demander un rapport d'enquête sur les nuisances olfactives potentielles résultant de cette activité. L'organisme compétent, le Laboratoire Central de la Préfecture de police, est intervenu et a délivré un rapport à la Mairie de Paris dont les riverains n'ont pas eu connaissance. Il est daté du 18 décembre 2017. Nous venons seulement d'en recevoir copie et nous le devons à l'intervention personnelle, à notre demande, du Maire du IIIe Pierre Aidenbaum.
Nous retenons de ce document très technique au moins deux enseignements qui d'une certaine manière se neutralisent : (1) les conduits visibles actuellement des deux côtés de la cour sont poreux et ont laissé filtrer sur les parois des nitrates et des chlorures résultant de l'activité d'essayage qui recourt aux acides nitrique et chlorhydrique, deux acides forts de la chimie minérale. Des cyanures ont été également recherchés. On en a décelé mais en faible quantité ; et (2) le four à charbon, qui à lui seul nécessitait un conduit d'évacuation des fumées, est désormais hors service au bénéfice d'un four à induction sans émanation polluante si on en croit ce qu'on nous dit.
L'appentis et le conduit maçonné d'évacuation des fumées
Le rapport conclut à la nécessité de supprimer les tuyaux actuels et d'installer un dispositif d'évacuation de l'air vicié de l'établissement, qui devra être rejeté à 8 mètres au moins de toute fenêtre.
L'entreprise "Boudet et Dussaix" a confirmé par écrit en date du 20 décembre 2018 que des travaux de mise à niveau réglementaire ont commencé et se termineront courant 2019.
Les résidents en prennent acte mais se demandent qui assurera le contrôle de conformité de ces travaux. Ils ont tendance à penser que cette surveillance devrait être assurée par le propriétaire de l'immeuble, le bailleur-social RIVP (régie immobilière de la ville de Paris) sous l’œil attentif du Maire du IIIe (qui en a été plusieurs années le président).
De notre point de vue, s'agissant d'un dossier hautement technique, il conviendrait que le Laboratoire Central émetteur du rapport d'analyse sur demande du propriétaire RIVP porte un jugement sur la spécification des travaux qui ont démarré pour s'assurer qu'ils correspondent aux exigences de protection contre les nuisances identifiées dans le rapport d'analyse et qu'il examine les clauses de recette de fin de travaux qui ont pour but d'en garantir la conformité.
GS