En accord avec les associations parisiennes qui luttent dans la mouvance "Vivre Paris !" contre le tapage nocturne et l'occupation de l'espace public, nous publions cette lettre urgente, qui résonne comme un appel au secours, du Dr Bertrand Lukacs aux membres de la Commission Mixte Paritaire Sénat Assemblée Nationale
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Députés, Membres de la Commission Mixte Paritaire,
Résumé :
Lors de la réunion mixte paritaire du 11 décembre prochain, vous aurez à vous prononcer sur l’amendement 1457 du projet de loi engagement dans la vie locale et proximité de l’action publique. Nous vous demandons solennellement de ne pas voter cet amendement qui prévoit d’étendre le principe d’antériorité des nuisances sonores aux établissement musicaux ou festifs. Cet amendement, passé en catimini, s’il est voté sera un message politique très négativement perçu par des milliers de Françaises et de Français, victimes de ces nuisances
Cet amendement contredirait tous les progrès contenus dans la loi d’Orientation des Mobilités pour une politique éco-responsable prenant enfin la mesure de l’impact environnemental et sanitaire de la pollution sonore. Enfin, il mettra sérieusement en porte-à-faux les engagements de nombre de candidats aux élections municipales qui ont eux bien compris l’enjeu que représente la lutte contre la pollution sonore.
À Aix-en-Provence, Albi, Bagnère de Bigorre, Bayonne, Biarritz, Bordeaux, le Cap d’Agde, Cluny, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nîmes, Paris, Sélestat, Strasbourg, Toulouse, Tours, pour ne citer que quelques villes, les associations de riverains sont « vent debout » contre cet amendement. Après un temps de consternation et de sidération, elles se mobilisent sur les réseaux sociaux pour exprimer leur colère.
Comment peut-on expliquer que pour l’élaboration de cet amendement, l’ensemble des parties concernées n’ait pas été entendu ? Comment expliquer le rôle prépondérant du collectif Culture Bar-bars alors même que ni le Conseil National du Bruit, qui a un rôle éminent concernant le bruit et les nuisances sonores, et encore moins un collectif d’associations de riverains victimes de ces nuisances n’ont été auditionnés ? La déontologie des députés n’oblige-t-elle pas à prendre en compte les arguments de tous pour représenter l’intérêt général et éviter l’influence de petits groupes très bien organisés ?
Le malaise et l’incompréhension ne font que s’amplifier à la lecture des arguments avancés pour justifier cet amendement lors de sa présentation à l’Assemblée nationale puis lors de la séance publique du 21 Novembre 2019
Écrire que « les relations juridiques qui s’établissent entre acteurs de la nuit apparaissent singulièrement déséquilibrées en faveur des riverains » est stupéfiant. Cela traduit un esprit gravement partisan ou une méconnaissance totale de la réalité. Personne n’ignore que l’application des lois existantes n’est plus adaptée à la vie d’aujourd’hui. Il existe une incroyable asymétrie entre la rapidité et la facilité à créer ces nuisances et l’extrême lenteur et les difficultés que vont rencontrer les victimes pour faire valoir leurs droits. C’est cette asymétrie qui crée tensions, souffrances et tant de désespérance chez les riverains victimes de pollution sonore nocturne.
Écrire que les riverains seraient responsables de « procédures infondées ou malveillantes » est une généralisation abusive proche du procès d’intention et occulte le fait que la pollution sonore, à la différence de la pollution atmosphérique, a toujours une origine locale, qu’elle est parfaitement identifiable et que les niveaux sonores peuvent se mesurer de façon objective par des sonomètres. Nous refusons de passer pour des irresponsables. Non seulement nous réfutons ces accusations mais nous demandons une généralisation des mesurages pour mettre fin à ces procès d’intention.
Ne donner comme seuls exemples que le chant du coq, la cloche de l’église du village ou la maison en bout de piste, qualifier les plaignants « de personnes obtuses » sans un seul mot pour décrire la réalité que vivent des milliers de personnes en souffrance à cause de ces nuisances est tout simplement révoltant.
Écrire que le combat des riverains qui luttent contre la pollution sonore nocturne serait « une tendance de notre société qui s’avère agaçante pour toute personne responsable et raisonnable » relève d’une légèreté et d’une surprenante méconnaissance du rôle de la nuit et de la qualité du sommeil pour le bien-être de chacun, en tout premier lieu des enfants et des adolescents.
Écrire que cet amendement «ne multipliera pas pour autant le nombre de contentieux ; au contraire, cela permettra de les éviter, dès lors que la règle d’antériorité aura été affirmée » est un contre sens. Il suffit de lire la façon dont la presse a compris cet amendement pour se convaincre du contraire : il est d’ores et déjà perçu par beaucoup d’établissements comme un droit à créer des nuisances sonores la nuit. Cela va multiplier, rallonger et complexifier les procédures juridiques.
Voter cet amendement, c’est «instaurer un principe d’antériorité sur les bars ou salles de concert, c’est dissuader les familles de s’installer. C’est aussi diminuer la capacité des élus à encourager la mixité sociale et économique dans les quartiers, et dédier exclusivement à la fête des zones entières. » comme l’écrit dans son courrier le Député Pacôme Rupin expliquant pourquoi il n’a pas voté cet amendement. C’est en effet l’assurance d’aggraver la désertification des centres villes.
Mais, au-delà de ces remarques factuelles, le plus surprenant est la façon dont l’enjeu a été très habilement détourné par Culture Bar-bars.
Non, la pollution sonore n’est pas un élément indispensable à la création artistique et la fête. Notre intérêt collectif est de faire en sorte que la création artistique et la fête intègrent les enjeux environnementaux et de santé publique. Ils doivent mieux préserver l’appareil auditif des spectateurs, diminuer la pollution sonore environnementale et participer à l’amélioration du sommeil de ceux qui doivent dormir.
L’enjeu politique n’est pas de protéger des pollueurs en leur permettant de continuer à polluer, mais d’inciter les artistes et organisateurs de fête à devenir éco-responsables et respectueux de l’environnement.
Non seulement c’est souhaitable mais c’est possible. La loi "Orientations des Mobilités", votée mais non promulguée, ouvre cette voie. Elle modifie l’énoncé du titre 7 du livre 5 du code de l’environnement en remplaçant les mots nuisances sonores par pollutions sonores. Ce n’est pas un simple changement de mots, cela traduit la prise de conscience de l’importance des nuisances sonores comme véritable pollution ayant un impact avéré sur la santé de ceux qui y sont exposés. Cette pollution sonore est responsable de plusieurs dizaines de milliers d’années de vie en bonne santé en moins par an et coûte plus de 57 milliards d’euros chaque année à la collectivité (Source CNB). Et la nuit doit être protégée en priorité.
Cette loi précise également, article 28 quater modifiant l’article L.571-1 du Code de l’environnement : « L’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans son domaine de compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun de vivre dans un environnement sonore sain. ». Pour l’intérêt général, cette loi doit s’appliquer à tous, sans exception.
Concernant les trois termes de cet amendement : tourisme, culture, sports, l’amalgame est habile mais il n’est pas pertinent. Il faut à l’évidence faire une distinction entre les nuisances sonores de nuit – fête et musique nocturnes – des nuisances sonores de jour – tourismes et sport. À niveau sonore égal, l’impact sur la santé des populations est extrêmement différent. Santé Publique France , dans un récent bulletin, a souligné l’importance de la durée et de la qualité du sommeil comme facteur déterminant pour la prévention des maladies chroniques. Il est bien évidemment d’intérêt général de prendre en compte cette distinction jour-nuit.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les élus, nous vous demandons de ne pas retenir cet amendement. Nous vous demandons de ré-ouvrir le travail préparatoire et de recevoir en urgence un collectif d’associations de riverains car nous avons des propositions précises à vous soumettre.
Très respectueusement,
Pour un collectif d’association de riverains.
Docteur Bertrand Lukacs
Membre de l’Académie de Chirurgie
Président de l’association Habiter Paris
Post-scriptum du 11 décembre, le Maire du IVe Ariel Weil communique :
"Je soutiens la démarche des associations de riverains qui s’opposent à l’amendement 1457 du projet de loi engagement dans la vie locale et proximité de l’action publique. En tant que maire et habitant, je revendique le droit à vivre et dormir en centre ville ! Maintenir l’équilibre entre noctambules et riverains est possible. Des solutions existent pour un partage plus respectueux des différents usages de la ville et de l’espace public. Veillons à les faire appliquer. »
Ariel Weil, Maire du 4e arrondissement