Les fenêtres aux étais du 25 boulevard du Temple (IIIe)
Il n'est pas nécessaire de lever trop haut les yeux quand on parcourt le boulevard du Temple, pour s'étonner de ces fenêtres barricadées d'immeuble en péril. Evelyne Dress, écrivaine et comédienne vit là et nous en parle comme d'un phénomène assez naturel sur un sol meuble comme celui du Marais (qui signifiait au départ "mérécage") mais dont il convient cependant que la Ville intervienne pour lui éviter le sort des châteaux de cartes. G.S.
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« On est de son enfance comme on est d’un pays ». Je suis du boulevard du Temple !
C’est sur ce bout de bitume qui sépare le IIIe du XIe que, moi, fille d’émigrés, je me suis fabriqué des racines.
Depuis avant ma naissance, grâce à mes parents qui s’étaient établis près du Cirque d’Hiver en arrivant de Pologne, j’ai coulé des jours heureux sur « le bord du Marais ». En 2017, je voulus changer de trottoir et je m’installai, non sans une certaine fierté, je l’avoue, dans « le haut Marais », non loin du théâtre Déjazet.
Mais ce qui devait être le gage d’une ascension sociale s’avère être une véritable descente aux enfers et le boulevard du Temple de vouloir redevenir le "boulevard du Crime" !
Le théâtre du boulevard du Temple (et du crime)
Ce nom de « Boulevard du Crime » ne provient pas seulement de l'attentat perpétré, devant le n°50, par le tireur corse Fieschi contre le Roi Louis-Philippe qui avait fait du boulevard du Temple son lieu de promenade, pas seulement, non plus, du crime commis par le sous-officier Louis Anastay, qui assassina la baronne Dellard, mais de ce que le boulevard du Temple était depuis le début du XIXe un lieu de divertissements, concentrant tous les théâtres, baraques et tréteaux où, chaque soir, se jouaient des mélodrames terrifiants, des drames ruisselants de sang, pleins de coups de couteaux, d'enfants volés, d'orphelins persécutés, d’où le sobriquet de « Boulevard du Crime ».
C’est ainsi que par une sorte de malédiction sans doute, le quartier fut maintes fois menacé : petite, j’ai vu mes parents militer pour la sauvegarde du Marais, puis contre la tentative d’abattre le Cirque d’Hiver, qui avait vu le jour sous Louis-Napoléon. En 1955 Hollywood posa ses caméras sur le rebord de nos fenêtres pour filmer « Trapèze » avec Gina Lollobrigida, Tony Curtis et Burt Lancaster. Plus tard, il fallut se battre, encore, pour préserver le mythique « Marché des Enfants Rouges », sauvé en 1989 par le nouveau Maire Pierre Aidenbaum qui en avait fait son arme de campagne.
Faudra-t-il, aujourd’hui, reprendre les armes pour redonner ses lettres de noblesse au bout de trottoir qui m’a vu naître ?
En végétalisant trois pieds d’arbres, j’espérais que la beauté de mes trois bacs attirerait tous les regards… et que les passants cesseraient de s’attarder sur les étais qui soutiennent notre immeuble, rappelant que nous sommes bien dans le Marais, un terrain meuble, sans craindre de défigurer ce quartier pour lequel nous nous sommes tant battus, ni de menacer la sécurité de ses habitants et des promeneurs.
J’interrogeais, récemment, un jeune couple s’extasiant sur les pièces de charpente :
- Que regardez-vous ?
- On dirait un origami de l’architecte Kengo Kuma.
On peut interpréter les choses comme ça ! Toutefois, voilà ce que, moi, je vois de ma fenêtre !
Un expert judiciaire, diligenté par le Tribunal de Grande Instance de Paris, a conclu au terme de trois ans d’enquête que les désordres constatés étaient imputables aux fuites d’eau importantes et persistantes du réseau d’égout défectueux de la ville de Paris et a préconisé l’injection de micro-pieux en sous-œuvre des fondations de l’ensemble du 25 boulevard du Temple.
Il serait complètement injuste que notre bâtiment, pris en tenaille entre l'immeuble mitoyen du 76 rue Charlot, frappé de trois arrêtés de péril, qui a causé nos dégâts, et le 23 boulevard du Temple, préempté par la Mairie de Paris pour faire des logements sociaux, ne soit pas aidé, au moins, pour l’injection de ces micro-pieux.
Je veux croire qu’Ariel Weil, notre tout nouveau maire, usera de son pouvoir auprès de la mairie de Paris pour qu'elle prenne en charge l'injection de ces micro-pieux, intervention que nous n'aurions jamais dû subir si les égouts de la Ville avaient été entretenus !
Évelyne Dress