Immeuble du XVIIIème siècle, angle Turenne-Vieille du Temple (IIIe)
Reportage de Marie-Catherine Weil.
A l’entrée de la rue de Bretagne, cette belle façade abrite 800m2 de locaux inoccupés depuis 1997. La Ville de Paris avait tenté, sans succès, de racheter ce bâtiment en 2002 afin d’y réaliser une dizaine de logements. La propriétaire, Monique Piffaut, une industrielle de l'agro-alimentaire, qui possède les marques William-Saurin, Garbit, Panzani, Paul-Prédault et d'autres, a refusé de vendre. C'était son droit mais l'immeuble devenu vétuste s'avérait dangereux. Le Maire du IIIe Pierre Aidenbaum brandit alors la menace d'expropriation pour cause "d'abandon manifeste".
Monique Piffaut opta pour la restauration. Les travaux se sont achevés en 2008 et lui ont coûté la bagatelle de 3 Millions d'€, mais elle a pu ainsi écarter la menace d'expropriation.
On dit d'elle qu'elle a un attachement sentimental à certains de ses biens et cet immeuble, qui a appartenu à ses parents, en fait partie. On laisse entendre dans le quartier qu'elle est réticente à s'en séparer.
Ceci explique peut-être qu'elle ait décidé de le louer d’un seul tenant moyennant un loyer annuel de 500.000 €. A ce prix là. et malgré la qualité de la restauration, le coût élevé de la location a jusqu'à présent dissuadé les candidats potentiels et le bâtiment est resté vide.
Le 24 novembre 2010, des artistes s’y sont introduits avec leurs familles. Ils n’appartiennent pas au collectif "Jeudi Noir" qui avait squatté pendant près d’un an l’hôtel de Coulanges (où est née la marquise de Sévigné), 1bis place des Vosges (accéder à l'article), mais ils rééditent une opération de squat qui s'est déroulée dans le même immeuble il y a douze ans. Elle s'était soldée par le départ négocié des squatteurs, moyennant compensation financière par la propriétaire.
Les nouveaux squatters, qui définissent leur geste comme une "réquisition citoyenne", ont collé leurs noms sous le bouton de sonnette de la porte d’entrée. Celle-ci est surmontée du sigle en relief CCA qui rappelle l'affectation d'origine : "Comptoir des Chocolats et Alcools". Ils souhaitent, un peu ingénument, parvenir à un accord avec la propriétaire.
En attendant, ils organisent une exposition d'arts plastiques. L'artiste "Zaz" qui nous a reçus, préparait le local en débarrassant les fenêtres du rez-de-chaussée de toutes les affiches sauvages qui les encombrent.
"Zaz", le plasticien, en plein travail de nettoyage
On ne connait pas exactement le nombre de squatters. Vraisemblablement une quinzaine. Ils occupent tout l'immeuble. Ils ont aménagé le rez-de-chaussée en "galerie d'art". Les étages sont leurs logements.
Chacun dans cette affaire s'estime dans son droit. Droit, constitutionnel, de propriété pour Mme Piffaut, politique en faveur du logement pour le Maire, légitimité et droit au logement pour les occupants. Jusqu'à ce jour, dans le IIIe, les parties en présence ont su trouver des terrains d'entente. Rappelons : Cogédim, rue Charlot, immeuble aux arcades Temple-Pastourelle, squat du 26 rue de Montmorency et tout récemment l'hôtel du Grand Veneur, rue de Turenne. Un litige en cours, cependant, avec action en justice au 108 rue Vieille du Temple.
L'arrivée des squatters ouvre vraisemblablement une période de transition. Un accord d'occupation précaire pourrait être conclu, si les parties en présence le veulent. Le sort des occupants dépendra aussi de leur comportement et de l'attitude de la police. Nous l'avons dit à "Zaz" : faites vous accepter des voisins. Vos prédécesseurs d'il y a 12 ans étaient devenus bruyants et causaient des désordres. "Zaz" est d'accord. Vers quoi allons-nous ? Le temps nous le dira. Nous avons accepté, en tout cas, de nous rendre à la prochaine exposition.
Et comme pour souligner la difficulté de se loger à Paris, un groupe de roumains SDF, avec un petit chat, a construit un abri de cartons et plastique bricolé sous l’arbre qui se trouve devant la pointe nord de la maison.
Post-scriptum # 1 du 19 janvier 2011
Le "collectif" des occupants a pris le nom de "chez Madame" et annonce son exposition
Post-scriptum # 2 du 27 mai 2011
Suite au jugement d'expulsion prononcé par le tribunal du IIIe le 31 janvier, les forces de l'ordre ont procédé à l'expulsion des occupants le vendredi 20 mai. La propriétaire s'est prévalue d'un bail de location conclu. On se rappelle que le grief principal du Maire du IIIe à son égard était le caractère "dormant" de l'ensemble de l'immeuble, avant l'arrivée des squatters, qui lui avaient redonné vie à leur manière.