Façade de l'église Sainte Elisabeth 195 rue du Temple (III°)
Les églises de Paris alignent souvent sur les murs de leur sacristie car c'était une tradition, les portraits peints des curés qui ont exercé leur ministère dans la paroisse. Certains sont peints par des peintres célèbres et leur portrait est classé, ils ne sont alors pas oubliés par artiste interposé. D'autres sont peints par des peintres inconnus et les prêtres qui n'ont pas laissé d'empreintes visibles, d'écrits remarquables ou de faits illustres sont purement et simplement oubliés.
Tel aurait pu être considéré le cas du chanoine Albert Marcadé (1866-1951) qui fut curé de l'église Sainte Elisabeth (195, rue du temple IIIe) durant 25 ans, sans que des événements ne bouleversent la fin de son ministère. Fils d’un journalier, le père Marcadé est né le 28 août 1866 à Bordeaux et suit ses études au petit séminaire de la ville. Ordonné prêtre en 1892, nommé vicaire à Cérons près de Langon, il devient vicaire de Montmartre, puis curé du Bourget.
Pendant cette période éclate la guerre de 1914-1918, il assume la charge d'aumônier du camp retranché de Paris et des Services de l’Aviation. C'est en décembre 1923, qu'il est nommé curé de Sainte Elisabeth du Temple. Ce chanoine est très actif durant son ministère puisque la sacristie détruite par les travaux d'Haussmann est reconstruite 78 ans plus tard, le campanile détruit pendant la Terreur est reconstruit selon le plan primitif et un calvaire est installé dans le chevet du chœur.
Grand orgue de Sainte Elisabeth
Qu'il s'agisse des Patronages de garçons et de filles, des Troupes de scouts, des Colonies de vacances, de la Conférence de Saint Vincent de Paul, des Dames de Charité, de la Ligue Féminine d’Action Catholique et de l'Institut Dupont des Loges, Albert Marcadé a su mettre en marche, relancer et dynamiser les mouvements, les œuvres et toutes les actions de la paroisse. Il entretient aussi de bonnes relations avec la famille Bouglione allant jusqu'à célébrer la messe sur la piste du cirque d’hiver.
C'est enfin lui qui réussit à faire reconnaître officiellement, Sainte Elisabeth, comme église conventuelle de l’Ordre de Malte, en 1938. Son goût pour l’Histoire et l’Art le conduit très tôt à constituer une collection de peintures anciennes, italiennes, flamandes, catalanes, rhénanes, de sculptures, de miniatures, d’ornements liturgiques qu'il expose dans la sacristie de Sainte Elisabeth. Cette collection connue, aujourd’hui, comme la collection Marcadé, se trouve à la Cathédrale de Bordeaux, sa ville natale, et fait régulièrement l’objet d’expositions. Intéressé par l'histoire du quartier, Il publie un revue bimestrielle intitulée "Le Temple".
Portrait d'Albert Marcadé
Ayant eu une «carrière » réussie, lui le fils d'un simple journalier aurait pu couler des jours relativement paisibles malgré l'entrée en guerre de la France avec l'Allemagne. Il n'hésita pas pourtant à prendre d'énormes risques et faire partie de ces héros de l'ombre venus à l'aide des juifs persécutés par les nazis. Il établit de faux certificats de baptême en découpant les anciens registres paroissiaux, installe diverses cachettes dans les alentours de l’église pour y loger des familles juives, des prisonniers évadés, participe à l’organisation d’une filière vers Nice.
En 1943, il n’hésite pas à faire chanter la Marseillaise par les petits chanteurs à la Croix de Bois sur les marches de l’église. Après la guerre, son action courageuse lui vaut la reconnaissance du Grand Rabbin de Paris, Julien Weill, qui s'adressa à lui par ces mots : "Je tiens à vous exprimer, au nom du Consistoire Israélite de Paris, et en mon nom personnel, mes plus vifs remerciements pour les services signalés que vous avez rendus à nos frères persécutés et malheureux....et l’hommage de mes très respectueuses et religieuses sympathies".
Le chanoine Marcadé sauva de nombreux juifs pendant la guerre et il devrait à ce titre figurer sur le mur des Justes. Nous disposons de témoignages mais il nous en faudrait davantage pour mener à bien une telle requête. Il a été élevé au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur en 1947, année où il acquit l'orgue de chœur et trouva les fonds pour faire restaurer les grandes orgues.
Âgé, le curé demanda lui-même d'être relevé de sa charge et démissionna. Sa lettre d'adieu à ses paroissiens se termine ainsi : "Que cette paroisse devienne plus prospère en biens spirituels et temporels !" Plus de 60 ans après sa mort des personnes œuvrent pour que ne soit pas oubliée la mémoire de ce curé exceptionnel qui a redonné tout son lustre à l'église Sainte Élisabeth et, à sa manière, a résisté de façon héroïque, au péril de sa vie, face à l'occupant nazi, en sauvant de nombreux juifs.
Dominique Sabourdin-Perrin