Le toit fumant encore de l'Hôtel Lambert à la pointe de l'Ile Saint Louis (IVe) le matin du 10 juillet 2013
L’incendie de l’Hôtel Lambert qui s'est déclenché le 9 juillet dernier a provoqué un émoi à la hauteur de l’intérêt historique de cet édifice exceptionnel situé à la pointe de l’Ile Saint Louis proche du Marais dont elle ne fait pas partie. Ce drame est un événement qui ne peut pas laisser indifférent même si il n'y a eu à déplorer heureusement aucune victime humaine. Mais ce qui est parti en fumée a bel et bien disparu et les dégâts collatéraux sur ce qu’il reste sont significatifs. Il est déjà envisagé pas moins de 2 ans de restauration sur laquelle se sont engagés les propriétaires et l’Etat. La perte majeure semble être ces fameux décors d’un cabinet réalisés par Eustache Lesueur au XVIIe siècle. Un escalier aussi se serait effondré…L’architecte en charge de la rénovation de l’Hôtel veut rester optimiste indiquant que tout n’était pas détruit et que les murs allaient sécher doucement afin que les décors n’éclatent pas.
Classé monument historique en 1862, représentant 4000 m2 de superficie, l’Hôtel Lambert qui doit son nom à son commanditaire, le secrétaire de Louis XIII, a été construit en 1640 par Levau que l’on retrouve à Vaux-le-Vicomte et à Versailles. Les plus grands artistes de l’époque ont travaillé sur ce chef d’œuvre. Outre Le Sueur, Charles Le Brun y peignit les peintures de la galerie d’Hercule. En dehors de différents cabinets (cabinet des Muses, cabinet de l’Amour. ..) datant de cette époque, il existe encore de nombreux plafonds à solive. Des témoins du XVIIe siècle rares à Paris. Des transformations ont eu lieu au fil du temps dont des appartements néogothiques aménagés sous les combles qu’occupa Michèle Morgan. Voltaire y séjourna, l’édifice appartenait alors au marquis du Châtelet, le mari de la célèbre femme éponyme.
La galerie d'Hercule peinte par Le Brun qui serait épargnée
De grandes fêtes y furent données, Lamartine, Balzac, Chopin, Georges Sand s’y rendaient fréquemment. Les célèbres fêtes données au siècle dernier par le baron Redé notamment celle de décembre 1969, appelée le « Bal oriental » fut une des dernières grandes manifestations mondaines de grande ampleur organisées dans ces lieux. On rapporte que des éléphants en papier mâché accueillaient les invités dans la cour de l’hôtel. Des « esclaves noirs » torse nu portaient des torches dans le grand escalier menant à la salle de bal, tandis que des automates jouaient de différents instruments disposés dans galerie d'Hercule…
Détail d'une partie des peintures de Lesueur détruites
Racheté en 1975 par Guy de Rothschild, l’Hôtel a été acquis en 2007 par la famille al-Thani apparentée à l’Emir du Qatar. En travaux depuis lors, les difficultés et la polémique ont émaillé cette période, le parking souterrain comme d’autres demandes, contraires à l’intérêt de l’édifice, ayant été refusés par la Ville de Paris. Dès fin 2008 (voir notre article du 23 décembre) nous évoquions « la tempête » déclenchée par les projets d’aménagement des nouveaux propriétaires.
Nous osons croire que ce pénible et triste épisode servira à démonter qu’une vieille dame telle que cette bâtisse du XVIIe siècle ne se traite pas comme n’importe quelle construction dépourvue d’histoire et de riches témoignages du passé. Aussi souhaitons-nous que la restauration soit à la hauteur de l’enjeu.
Dominique Feutry