Enseigne lumineuse "en drapeau" du Monop' au 3-5 rue des Haudriettes (IIIe) (Photo VlM)
Il est jeune, juriste de formation et vit dans le Marais, rue Ste Croix de la Bretonnerie (IVe), où les enseignes lumineuses, à son grand dam, se sont multipliées ces derniers temps. Il n'est pas membre de l'association "Vivre le Marais !". Denis Guinaudeau profite d'un répit professionnel. L'occasion pour lui de concrétiser une réflexion qui l'habite depuis quelque temps : le Marais est en train de changer de visage sous l'effet d'enseignes lumineuses de plus en plus racoleuses, qui envahissent les rues et en dénaturent la beauté architecturale.
Il connait la réglemention en vigueur qui fait du PSMV (plan de sauvegarde et de mise en valeur) et de l'Architecte des Bâtiments de France les gardiens du Temple de l'esthétique et du bon goût en la matière mais il regrette l'absence d'un projet mobilisateur qui dirait à tous vers quoi nous souhaitons aller - ou ne pas aller - dans ce domaine.
Ses propos montrent qu'il y a réfléchi murement et il a envie de s'exprimer. Ses propositions n'engagent que lui mais nous reconnaissons que notre association est en résonnance sur l'essentiel et serait tentée d'oublier ce que certaines ont d'utopique.
Nous publions sa contribution. Nous insisterons auprès des responsables de l'urbanisme, de l'architecture et du patrimoine parisiens pour qu'ils en prennent au minimum connaissance. Peu d'habitants du Marais se sont manifestés jusqu'à ce jour avec autant de pertinence. Dans la mesure où nos élus se flattent d'être à l'écoute, ils doivent être attentifs à ce que les plus motivés d'entre nous expriment.
Vos commentaires sont plus que jamais souhaités, pour que Denis ait connaissance de l'accueil que lui vous réservez et pour que les détenteurs du pouvoir prenne la mesure du retentissement de ses idées auprès du public.
Le dossier de Denis Guinaudeau .....
Les enseignes lumineuses du Marais : un risque de
dénaturation rapide du quartier ?
Les enseignes participent au charme et à "l'atmosphère" d'un quartier. Il s'agit d'un patrimoine. Le musée Carnavalet ne s'y est pas trompé en consacrant une immense salle aux enseignes d'autrefois. Si on déplore la quasi disparition de nos rues des enseignes en fer forgé, on constate qu'elles sont remplacées désormais par des enseignes au goût du jour.
Aujourd'hui, le goût du jour se manifeste avec la multiplication des enseignes lumineuses. Il nous semble que la logique commerciale veut qu'il y ait un développement rapide de ce type d'enseigne au risque d'altérer durablement ce charme et cette atmosphère qui nous tiennent à cœur.
Salle des enseignes de Paris - Carnavalet Enseignes, plus sobres, d'aujourd'hui
Par cet article, nous ne voulons pas cultiver la nostalgie d'un "certain" passé, restaurer un passé fantasmé (de type Disneyland) ou sanctuariser notre quartier.
Il s'agit bien de vivre dans le présent, mais dans l'harmonie, et de veiller à la préservation d'un patrimoine, y compris les enseignes, qui participent à la qualité de la vie dans un quartier.
A dire vrai, de nombreux magasins respectent encore le "caractère" du quartier constitué de bâtiments construits entre les XVème et XXème siècles essentiellement, et ce :
(i) en préservant les enseignes anciennes ; et/ou
(ii) en ne posant pas d'enseigne lumineuse ; et/ou
(iii) en posant des enseignes "à l'ancienne" (p. ex. fer forgé, rue des Blancs-Manteaux...).
Du reste, si les commerçant ne réagissent pas à cette nouvelle pollution visuelle, ils risquent bien de tuer la poule aux œufs d'or.
L'éclairage des façades des commerces et des enseignes de ces magasins respectueux du quartier se fait par des spots lumineux qui les éclairent parfaitement.
Rappel, constat et remarques générales
Les enseignes de Paris (la "ville lumière") sont devenues petit à petit toujours plus lumineuses.
Ce phénomène des enseignes lumineuses a débuté pour l'essentiel dans les années 70. Le quartier du Marais en a été plutôt préservé (N.B. Nous n'avons pas fait des recherches sur la réglementation en matière d'enseigne lumineuse applicable à l'époque et la manière dont elle était appliquée). Il reste aujourd'hui dans le Marais des enseignes lumineuses de ces époques pas si lointaine (p. ex.rue Sainte Croix de la Bretonnerie : Boulangerie-Pâtisserie et Hôtel).
Hôtel rue Ste Croix de la Bretonnerie (IVe). L'enseigne parallèle (HB) est conforme. L'enseigne en drapeau présente trois anomalies : hauteur excessive(> à 80 cm), positionnement impropre (au-dessus du plancher du 1er étage) et éclairage agressif qui lui donne un caractère interlope (Photo VlM)
En général, on constate que ces enseignes sont disproportionnées. Esthétiquement, elles ne sont pas du plus bel effet et cassent l'harmonie visuelle dans une rue.
Ces derniers temps, on a noté un développement accéléré des enseignes lumineuses dites "en drapeau" (c'est à dire située perpendiculairement au mur de la façade de l'immeuble qui la supporte) et des enseignes lumineuses dites "parallèles" (c'est à dire au fronton des magasins). A ce rythme, dans quelques années, il pourrait ne plus rester d'enseignes parallèles peintes...
Phénomène paradoxal, puisque les villes demandent aux commerçants d'éteindre les vitrines le soir et qu'on demande, à raison, aux français une certaine sobriété énergétique.
Pour expliquer les raisons pour lesquelles il nous semble important et urgent d'agir, il convient de faire deux remarques préalables :
D'un part, tous les "jeunes" vivent depuis leur naissance entourés de lumière. Il y a eu en effet ces dernières années une multiplication des sources lumineuses, dans l'espace public et dans l'espace privé. De surcroît, ces "jeunes" ont passé beaucoup de temps devant les écrans lumineux des télévisions et des ordinateurs, écrans aux pixels si attirants. Bref, ils ont baigné dans la lumière - et dans les décibels - dans une société qui en a fait des consommateurs-citoyens. Les enseignes lumineuses font partie de leur univers. Les dernières générations qui peuvent avoir conscience de cette dérive sont celles des 40 ans et plus.
D'autre part, la pression commerciale veut qu'aujourd'hui les commerces doivent être toujours plus visibles : par les enseignes lumineuses ou par l'originalité des vitrines. Dans la logique commerciale, il est à parier que les gérants des nouveaux magasins demandent de plus en plus souvent à poser des enseignes lumineuses, de plus en plus racoleuses. D'où le risque de défiguration rapide des rues les plus commerçantes du quartier. Insidieusement, le quartier pourrait ainsi rapidement (effet boule de neige) se transformer en une galerie/centre commercial à ciel ouvert avec une surenchère d'enseignes lumineuses en drapeau et parallèles dans ses artères les plus commerciales.
Une fois le système électrique installé, il sera difficile pour un nouveau gérant de ne pas céder à la tentation de conserver une enseigne lumineuse. Bref, le phénomène sera quasiment irréversible.
Le futur: vers une zone festivo-commerciale ?
Rappelons que les enseignes lumineuses sont réglementées en France. Ce vieux quartier de Paris ne se transformera donc pas en quartier de type casino (Las Vegas/Time Square à New York). Mais il nous semble qu'il risque bel et bien d'évoluer en centre commercial péri-urbain.
Il y a différents facteurs qui peuvent accélérer ou ralentir ce phénomène de développement des enseignes lumineuses : crise économique ; rotation importante ou non des commerces ; évolution des types de consommation ; politique de la ville pour diversifier le tissu économique ; évolution des mentalités des marchands et/ou des citoyens-consommateurs ; stratégie marketing de telle ou telle enseigne....
Franprix, rue du Bourg Tibourg (IVe)
Il n'en demeure pas moins que l'on peut redouter que la multiplication de ces enseignes lumineuses en quelque sorte dénature les rues commerçantes de ce quartier pourtant "sauvegardé".
On peut très bien imaginer que la plupart des magasins installent des enseignes lumineuses parallèles et en drapeau dans les zones les plus commerciales : les rues deviendraient alors nous semble-il des sortes de galeries commerciales à ciel ouvert. De telle sorte qu'il pourrait exister dans le futur une continuité regrettable dans l'agression visuelle, qui est une sorte de violence faite aux habitants.
Rappelons aussi que le phénomène des enseignes lumineuses accompagne une mutation de la typologie des commerces dans le quartier.
Aujourd'hui, dans les rues les plus commerçantes (hors rues Rambuteau et de Bretagne), les magasins sont essentiellement des boutiques de vêtements et chaussures, de bibelots, de cosmétiques et de montres. Il faut également avoir à l'esprit que dans le centre du Marais, il y a de nombreuses enseignes de marques et/ou des enseignes appartenant à de grands groupes. Ces remarques valent essentiellement pour les rues "sensibles", celles où se concentrent les commerces de vêtements. En contre exemple, on constate que dans le "Haut Marais", les galeries de peinture, les jeunes stylistes ou les petits métiers de bouche ne sont pas dans une logique de commerce à enseigne lumineuse.
Rappelons enfin qu'il existe dans le quartier des endroits à plus forte concentration de bars et des boites de nuit dont certains ont un caractère communautariste.
Ces rappels étant faits, ces précautions étant prises, il nous semble qu'on peut dire que le Marais risque de devenir une zone festivo-commerciale, où la vie.... deviendrait invivable. Ce qui est déjà le cas en certains endroits en fin de semaine. Ce sentiment de pression commerciale devrait être de plus en plus mal vécu : la multiplication des enseignes lumineuses deviendra en effet dérangeante pour des habitants qui auront le sentiment de vivre dans une galerie marchande.
Le présent : états des lieux
Il n'est bien entendu pas question ici de faire un recensement de ces enseignes lumineuses pour les "dénoncer". A ce stade, il s'agit juste de constater un phénomène. Sans caractère exhaustif, en faisant une rapide tournée dans quelques rues du quartier :
1. pour les enseignes "parallèles"
Il s'agit en fait des enseignes qui portent le plus préjudice au quartier, par leur taille. Parfois, elles sont également visuellement très agressives (lumière rouge vive sur fond noir ou encore l'enseigne rouge du magasin Levis au 21 rue Sainte Croix de la Bretonnerie).
Photos VlM
Notons également des enseignes qui ne disent pas leur nom: par exemple, la vitrine du bar le Spyce (ex Mixer), rue Sainte Croix de la Bretonnerie
Le soir derrière la vitrine un grand écran pixélisé s'éclaire (Photo VlM)
2. pour les seules enseignes lumineuses "en drapeau"
- dans la rue Sainte Croix de la Bretonnerie : Boulangerie-Patisserie (ancienne type 70') Diwaili, Sisho, Hanoi, Société Générale, Librairie à l'angle de la rue des Archives, Spontini, Superdy, G-Shock
- dans la première partie de la rue Vieille du Temple (Rivoli-Francs Bourgeois) : Chevignon, Lacoste...
- dans la rue des Francs Bourgeois : de manière générale, les enseignes drapeaux sont nombreuses ; ou
- dans la rue Saint Antoine/Rivoli jusqu'au BHV : elles sont relativement peu nombreuses.
Que faire ?
Si le futur du quartier se profile comme je le décris, il semble donc nécessaire d'agir.
Oui mais comment ?
Dans un premier temps, nous pensons qu'il conviendrait de constituer rapidement une cartographie de ces enseignes par leur recensement dans un périmètre à déterminer. Cet outil constituerait une sorte d'observatoire du développement des enseignes lumineuses sur une période donnée (par exemple 3 à 4 ans). Avec cet outil (par exemple, sous forme de fichier "Excel", sur un certain nombre de rues sélectionnées, type rues témoins), on pourrait alors analyser finement le phénomène et dégager des constats objectifs.
Parallèlement, il s'agirait de sensibiliser les intéressés (essentiellement les mairies concernées, la direction de l'urbanisme, l'ABF et les associations de commerçants) du risque de dénaturation du quartier et esquisser avec eux une solution acceptable et faisable.
En bref, la réglementation prévoit en effet que pour l'installation d'une enseigne lumineuse, un dossier soit monté, avec en particulier le renseignement d'un formulaire qui est adressé à la Direction de l'urbanisme. La fiche de renseignement relative à ce formulaire précise que "l'avis de l’architecte des Bâtiments de France sera contraignant. Il est donc préconisé de contacter ses services."
A notre connaissance, ni la ville, ni l'ABF n'ont anticipé l'évolution que pourrait prendre le quartier avec la généralisation de ces enseignes lumineuses. Il est vrai que le PSMV (plan de sauvegarde et de mise en valeur), c'est à dire l'instrument de la politique locale du territoire, vient d'être adopté. Et il contient des dispositions relatives aux enseignes lumineuses. Les autorités et l'ABF l'appliquent donc tout simplement.
Signalons au passage que les auteurs du PSMV révisé se sont privés d'une arme pour une intervention plus efficace. Ils n'ont pas jugé utile (ou peut-être sont-ils simplement passés à côté) de supprimer la prescription de trois ans qui interdit d'agir sur des enseignes anciennes qui ne répondent pas aux disposition du règlement (taille, hauteur en façade, couleurs, éclairage).
Cette enseigne est là depuis longtemps, 11 rue Rambuteau (IVe). Elle concentre à elle seule toutes les irrégularités à l'égard du règlement en vigueur, notamment l'éclairage au néon (Photo VlM)
Il nous semble cependant que la mission de l'ABF n'est pas seulement de constater l'application des règles. A notre sens, l'ABF doit avoir une politique de protection grâce à une certaine hauteur de vue et une vision de ce que devrait être le quartier dans le futur. Il nous semble que l'harmonie et/ou l'esthétique des rues du quartier et la protection des enseignes peintes sont des arguments que l'ABF doit pouvoir opposer aux demandes d'installation d'enseignes lumineuses.
Vers une politique stricte d'encadrement des enseignes lumineuses ?
Dire tout cela, c'est dire aussi que nous ne croyons pas sur le long terme à l'efficacité des actions ponctuelles de l'association "Vivre le Marais !" (ou d'autres) et/ou de ses adhérents au cas par cas, c'est à dire à l'intervention lors de changement de gérance des magasins, le nouveau gérant demandant alors l'installation d'enseignes lumineuses.
Il faudrait en premier lieu une vigilance de tous les instants. Ensuite, si aucune "politique" vis à vis de ces enseignes n'est définie, on pourrait entrer rapidement dans des contradictions. Enfin, nous comprenons que la voix des habitants est généralement peu prise en compte par l'ABF lorsqu'il s'agit de dossiers relatifs aux enseignes.
Rappelons en effet que l'ABF a malheureusement peu de moyens, un champ de compétence géographique trop large et pas assez de temps.
Il nous semble donc nécessaire d'élaborer avec les différents intéressés une politique de la ville (mairies des III et IVe ; l'ABF ; associations de commerçants et associations-environnementales agréées) relative à l'installation des enseignes lumineuses dans le Marais. Cette politique serait constituée de règles (principe / exceptions) à l'installation des enseignes lumineuses.
Cette politique nécessitera beaucoup de travail pour sa mise en œuvre (réunions, rédaction des règles.. etc..). Mais une fois ses dispositions entérinées, l'ABF aura simplement à appliquer ces règles.
Trois enseignes auxquelles il y a peu de reproches à faire ... (Photos VlM)
A priori, le périmètre de cette politique devrait être celui du PSMV. Or tout le Marais n'est pas commerçant. Mais il nous semble que cette politique doit s'appliquer sur l'ensemble du PSMV. Il nous semble par ailleurs qu'il faut refuser l'idée d'avoir des rues/artères "lumineuses" (les rues commerçantes) et des rues "non lumineuses" (protégées) car moins commerçantes.
L'association "Vivre le Marais !" pourrait pour sa art contribuer à proposer des règles. A titre d'exemple, il nous semble que si les enseignes lumineuses en drapeau contribuent à défigurer le quartier, les enseignes lumineuses parallèles (ou verticales) sont la cause principale de cette laideur lumineuse qui s'installe et se répand dans le quartier. Bref, à choisir entre la peste (enseignes lumineuses en drapeau) et le choléra (enseignes lumineuses parallèle), on pourrait choisir le moins virulent des deux !
Exemple d'intervention de l'association : "Flera" (rue Chapon) avant (à gauche) et après (2009) (Photos VlM)
En résumé, il s'agirait en fait d'interdire toute nouvelle enseigne parallèle ou d'en limiter significativement la taille et de contenir les enseignes en drapeau (réservées aux seuls établissements à caractère de service public ou assimilé : pharmacies, superettes de type Franprix, banques, poste...). Une attention particulière doit être portée au type d'éclairage (spots légers vs tubes néon)
Nul doute que de nombreux problèmes juridiques se poseront, en particulier sur l'outil juridique de cette nouvelle politique (p. ex. modification du PSMV ou via une autre outil juridique) ou l'articulation éventuelle des ces nouvelles règles avec les règles existantes.
En attendant l'éventuelle mise en place de cette politique, il conviendra pour les adhérents de l'association d'être vigilants, c'est à dire d'agir au cas par cas, avec les limites exposées ci-dessus.
L'association attend une réaction de ses adhérents et plus généralement des habitants du quartier sur ce sujet. S'il y a consensus sur le diagnostic, il conviendra alors de consulter puis de se réunir pour définir les grandes lignes de notre action (ce qui a été écrit plus haut n'étant qu'une proposition à ce stade). L'association pourrait alors appeler à la contribution de ses adhérents pour cartographier/répertorier les enseignes lumineuses dans le quartier.
Denis Guinaudeau
Bibl. : autre article de "Vivre le Marais !" traitant du sujet