Logements réhabilités 60 rue de Turenne (IIIe). Hôtel d'Ecquevilly, dit du Grand Veneur (Photo VlM)
Le discours ambiant autour du logement à Paris s'apparente au mouvement brownien, l'agitation désordonnée des molécules d'un gaz dont la résultante est la pression sur le vase. Pression qui en matière d'habitat a pour effet de pénaliser les accédants à la propriété et les locataires en faisant flamber les prix.
L'actualité nous en fournit un nouvel exemple : en tentant d'encadrer les loyers parisiens par une loi "usine à gaz" qui va faire s'arracher les cheveux à plus d'un, la Mairie de Paris, volontaire pour son expérimentation, crée une raison supplémentaire aux yeux des investisseurs de se méfier de la location traditionnelle, pour se tourner vers des formes plus souples comme la location meublée saisonnière.
On peut, sans prendre de risque, prédire l'échec total de cette mesure que le gouvernement défend d'ailleurs du bout des lèvres tant il sent bien qu'elle est inappropriée.
Il reste que le problème du logement à Paris est réel et qu'il faut le traiter. Mais personne n'y réussira, à gauche comme à droite, si la situation n'est pas regardée en face. Quelques chiffres à ce propos nous éclairent.
Les statistiques de l'INSEE nous apprennent qu'il y avait fin 2013, 26 Millions d'emplois en France pour environ 65 Millions d'habitants. Ratio : 26/65 = 40 %
Pour l'Île-de-France hors Paris, 4,2 Millions d'emplois pour environ 10 Millions d'habitants. Ratio : 42 %
Pour Paris, 1,9 Million d'emplois pour 2,2 Millions d'habitants. Ratio : 86 %
Existe-t-il un ratio idéal ? Non, mais si la France comptait 2,0 Millions d'emplois supplémentaires, ce qui veut dire deux Millions de moins de chômeurs, chacun considèrerait cette situation comme satisfaisante. Le ratio serait alors de 43 %.
Avec un ratio hors norme de 86 %, la population parisienne ne suffit pas à pourvoir les emplois concernés. C'est la périphérie qui les fournit. Il en résulte un flux journalier de ce que les anglo-saxons appellent les "commuters", ces gens qui font l'aller-retour chaque jour entre leur banlieue et Paris. Beaucoup d'entre eux en souffrent et ne rêvent que d'une chose : habiter Paris. Il y a de ce fait une demande considérable de logements et plus particulièrement de logements "Ville de Paris" car les prix de marché pour l'achat et la location à Paris dans le privé dépassent leurs moyens.
Les politiques ont traité cette problématique dans leur campagne pour les municipales de 2014. Anne Hidalgo s'est engagée à produire 10.000 logements sociaux par an. Nathalie Kosciusko-Morizet a enchéri à 12.000. On sait que ces chiffres sont irréalistes et ne peuvent être approchés qu'au prix de réhabilitations extrêmement coûteuses qui produiront du logement social avec un prix de revient qui lui ne sera pas "social" mais conforme au prix de marché. Le déficit résultant alourdira d'autant les comptes de la Ville et retombera en impôts sur les classes moyennes, qui elles ne bénéficient pas, sauf privilégies, des faveurs de la Ville.
Immeuble "stalinien" du 17 boulevard Morland (IVe), délaissé par les services de l'urbanisme de la mairie de Paris et par la préfecture de Paris Île-de-France, pressenti pour être transformé en logements de la Ville
De plus, densifier Paris, la ville la plus dense d'Europe (*) est un non-sens que avons plusieurs fois dénoncé en en donnant les raisons. Ajoutons que l'augmentation du nombre d'habitants crée des emplois induits (commerces, services publics, services à la personne...) qui à leur tour provoquent une hausse de la demande de logements.... Toute proportion gardée, c'est le même principe que la bombe atomique. Les parisiens ne veulent pas faire les frais d'une explosion urbaine de leur ville.
On comprend que Mme Hidalgo, dont l'adjoint au logement est Ian Brossat, président du groupe communiste à la Mairie de Paris, ait cédé aux instances de celui qui lui a fourni des renforts pour son élection. On comprend moins que Mme Kosciusko-Morizet, qui est polytechnicienne et forcément attachée aux raisonnements logiques, se soit laissée entrainer dans ce qui est une erreur d'analyse.
En effet, la meilleure façon d'obtenir que le ratio de Paris baisse assez pour que sa fonction de pompe aspirante sur la banlieue s'assagisse, c'est que les emplois migrent en masse hors de Paris, vers toutes ces zones de l'Île-de-France où le ratio est faible. On est en droit d'en attendre une meilleure qualité de vie des "commuters", une baisse de la densité d'habitants à Paris et la maîtrise des nuisances liées à la foule (occupation abusive de l'espace public, saturation des services publics, tapage, saleté et pollution de l'air), avec comme conséquence directe une détente du marché de l'immobilier pour les accédants et pour les locataires.
Paris et la Seine (Photo "Le Parisien")
Ceci veut dire qu'il faut cesser de promouvoir l'attractivité de Paris et de tout faire pour l'accroitre, en privilégiant au contraire des pôles distribués sur l'Île-de-France. De là notre attitude négative à l'égard de plusieurs décision de la Maire : modification du PLU (plan local d'urbanisme) pour supprimer le COS (coefficient d'occupation des sols) et permettre ainsi de densifier l'habitat (en autorisant les surélévations par exemple), construction de tours, notamment la monumentale Tour Triangle, maintien à tout prix de Roland Garros à Paris, alors que Versailles était volontaire, et enfin une candidature pour les J.O. de 2024 (après des Gay Games déjà prévus pour 2018) pour mettre les projecteurs une fois encore sur Paris.
Le projet de "Métropole du Grand Paris", qui sera mis en œuvre dès 2016 avec Paris et les 123 communes de la petite couronne, va dans ce sens pour ses 6,7 Millions d'habitants, pour autant que ses dirigeants y voient un moyen de procéder à un rééquilibrage salutaire. Nous sommes à la veille de ce qui sera une mutation profonde pour la région parisienne. Alors, pourquoi les élus de Paris ne décideraient-ils pas, en attendant, de surseoir à toute décision du genre de celles que nous dénonçons, pour simplement laisser les parisiens tranquilles et leur permettre de respirer.
Gérard Simonet
(*) A titre de comparaison, Londres affiche des densités deux fois plus basses que Paris pour les 3.232.000 habitants des "inner boroughs" (équivalents aux arrondissements de Paris), soit 13.200 habitants/km² (contre 24.000 à Paris). (Chiffres Alain Bertaud - New York pour 2011). Télécharger les chiffres