La boulangerie de la rue des Rosiers (IVe) qui côtoie un restaurant de falafels
La médiathèque de la Canopée la fontaine des Halles a organisé une conférence sur le thème « Le Marais, vagues d’immigrés et transformations d’un quartier parisien 1879-2000». Elle avait invité pour traiter de ce sujet l'historienne et directrice d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Nancy L. Green. La salle était comble.
La spécialiste des migrations a rappelé que la première migration importante dans le Marais était celle consécutive à la guerre de 1870, celle des juifs alsaciens et lorrains refusant de devenir allemands après l’annexion de leurs deux provinces. La seconde, fin XIXe début XXe, fut celle des juifs des pays de l’Est en provenance de Russie notamment où ils fuyaient les pays qui restreignaient leurs libertés et où avaient lieu des pogroms. Enfin la décolonisation après la seconde guerre mondiale a engendré l’arrivée d’une 3ème vague de juifs en provenance de l’Afrique du Nord.
Si les juifs souvent pauvres ont été attirés par le Marais comme ils l’ont été aussi par d’autres quartiers (Belleville…), d’autres villes (Champigny, Marseille…) et par d’autres pays (Canada, États-Unis …), c’est parce qu’il était devenu « un quartier pauvre et modeste et attractif ». Les loyers étaient abordables et ils pouvaient exercer leurs métiers dans lesquels ils avaient été cantonnés dans leur pays d’origine (colporteurs, fourreurs, tailleurs, casquettiers, orfèvres, métiers du bois …).
D’autres part bien que différents, les immigrés de la 2nde vague d’immigration ont été attirés par ceux de la 1ère vague et il en fut de même pour ceux de la 3ème par rapport aux précédentes (« phénomène de la chaîne migratoire »). A joué aussi la pratique d’une langue commune pour les 2 premiers groupes (yiddish). Ces différentes arrivées ont créé une mixité à la fois inter ethnique et intra ethnique avec des transitions difficiles au cours des époques successives qui ont créé des tiraillements entre les groupes aux pratiques et aux rites différents.
Les symboles de la transformation du quartier furent les lieux religieux, les synagogues construites (rues de Tournelles et rue Pavée) et la création d’ermitages (rue des Rosiers). Il y a la création de commerces spécialisés (librairies, boulangeries….) et des usages dans l’habillement dont la casquette amenée par les immigrés russes.
Dès après la seconde guerre mondiale les chinois, spécialisés dans la confection et la maroquinerie, en provenance de Wenzhou, furent nombreux aussi à investir le Marais, pour les mêmes raisons que les juifs, mais aussi attirés par des confectionneurs juifs. A partir des années 80 une nouvelle vague d’immigration chinoise est perceptible (restaurants, bijoux fantaisie, maroquinerie et confection). La rue au Maire en est actuellement le symbole.
L’action de l’État a eu aussi une influence sur le Marais, si la plus catastrophique fut la déportation, les expropriations pour insalubrité furent nombreuses, les rénovations l’ont ensuite embourgeoisé. La piétonisation de la rue des Rosiers l’a fortement transformé. Il est précisé que les arrivées d’immigrés ne doivent pas occulter les départs d’autres, arrivés plus tôt, soit vers d’autres quartiers, soit vers d’autres villes, soit dans d’autres pays.
Nancy L. Green a souligné qu’’il était difficile de définir le Marais. Tout d’abord elle constate que son périmètre varie selon les époques (les cartes le montrent) et ceux qui se posent en spécialistes du lieu ne lui donnent pas le même périmètre. Quant aux qualificatifs « il y en a autant que de guides » a-t-elle souligné, citant le quartier royal, le quartier juif, le quartier historique, le quartier gay ou le quartier bobos…Elle cite un journaliste de la revue « La Cité » qui en 1915 écrivait à propos du Marais, le « ghetto parisien »…
Selon l’historienne un quartier n’est jamais investi à 100% par un groupe donné, le Marais est donc tout à la fois, ce qui fait sa richesse, sa diversité et sa mixité. Son visage est diffèrent selon les moments de la journée, il évolue aussi au cours du temps et continuera à évoluer, citant plus spécifiquement l’arrivée du secteur de la mode. Enfin ajoute-t-elle, comme dans tout quartier, il y a le "visible et l’invisible, ce qui rend sa qualification impossible."
Dominique Feutry