Autoportrait nocturne (Le graveur) 2008 Xylographie – 14x14 cm
Sergio Birga, peintre talentueux et graveur de renom, nous a quitté brutalement en août dernier. Il était un membre prestigieux de notre association.
Né à Florence en 1940, il signe ses toiles « Pictor Fiorentinus », revendiquant ainsi son attachement à sa ville natale. Mais aussi Parisien de cœur dès 1966, il réside dans le Marais depuis toutes ces années, bénéficiant dans son dernier atelier d’un aperçu imprenable sur le Centre Pompidou et Notre Dame. De sa fenêtre, ce fervent croyant assiste au dramatique incendie de 2019 qui lui inspirera quelques œuvres tragiques, empreintes de nostalgie.
Ses premières huiles sur toile évoquent sa Toscane natale, collines, arbres, sites harmonieux et équilibrés, monuments à la rigueur géométrique pour lesquels le dessin est primordial, lui permettant d’acquérir une parfaite maîtrise qui s’avérera indispensable à sa passion naissante pour la gravure.
En 1965-66, il fait plusieurs séjours en Allemagne et découvre les principaux acteurs de l’Expressionisme, Kokoschka, Erich Heckel et surtout Otto Dix, déjà vieillissant mais au sommet de sa notoriété, qui l’accueille et lui prodigue conseils et encouragements. Son admiration pour Dix est totale, même si son propre style s’éloigne de celui du Maître.
A Paris, il est admis aux Beaux-Arts et étudie la gravure dans le cours renommé de Lucien Coutaud. Artiste engagé, contre la guerre du Vietnam, Mai 68, il joue un rôle d’animateur et de fédérateur dans le mouvement de la Jeune Peinture qui domine le monde artistique parisien à cette époque.
Sergio Birga était un homme authentique, intellectuel subtil, de très grande culture, tant artistique que littéraire, incollable sur les Ecrits de Nietzsche, Kafka et Edgar Poe notamment, qui lui ont inspiré des sujets pour ses suites de gravures.
Nous nous sommes souvent rencontrés, en compagnie de son épouse Annie, occasions de passionnantes discussions sur la création artistique contemporaine, le rôle et l’engagement de l’artiste dans la société, l’impérieuse nécessité de peindre avec les doutes, les contradictions quant à la voie à suivre pour l’expression de sa propre créativité, autant de sujets sur lesquels il a beaucoup écrit.
L’énumération de toutes ses expositions personnelles et manifestations culturelles auxquelles il a participé en France et en Europe serait très longue. Annie Birga, soucieuse d’entretenir le souvenir de son mari, a eu la joie que la Galerie Saphir, une institution depuis de nombreuses années dans le Marais, organise à nouveau pour lui une exposition, cette fois-ci à caractère rétrospectif, sur un aspect essentiel de son travail : la gravure.
Le propos délibéré de cette exposition est de présenter tous les thèmes et la variété des sujets dans ses gravures de différentes époques. Une série d’autoportraits, dont le très symbolique « Autoportrait nocturne » ci-dessus reproduit, marque les jalons de son évolution dans le style et ses recherches picturales au fil du temps.
Une suite de gravures sur Paris, notamment « La destruction des Halles » qui l’a beaucoup peiné car scellant la disparition d’une partie du Paris historique, et aussi « Nocturne de l’atelier vers la Tour Eiffel », démontre son profond attachement à cette ville.
La destruction des Halles 1 (1973) Linogravure - 25x36 cm
La linogravure est un procédé utilisant le linoléum comme support, revêtement imperméable fait de toile de jute enduite d’un mélange de poudre de liège, d’huile de lin, de gomme et de résine. Picasso a beaucoup utilisé cette technique pour de nombreuses séries de linogravures.
Divers sujets inspirés par les goûts littéraires de l’artiste, notamment d’après Kafka « La Métamorphose » (le réveil) 1963, « Le Procès » (l’exécution) 1963, « Un Rêve » 1963, xylographies, d’après Edgar Poe « La Chute de la Maison Usher » 2021, xylographie.
Sergio Birga propose au spectateur une représentation symbolique dans laquelle le réalisme cru du dessin, paradoxalement, ouvre l’espace à un univers plus onirique, ainsi les apparitions de lunes roses grimaçantes dans un ciel noir d’encre.
"Le Procès" – L’exécution (1963) , xylographie - 32,5x25 cm (à gauche) et "Un Rêve " (1963) xylographie - 45x32 cm (à droite)
Sergio Birga appréciait tout particulièrement le travail de la xylographie – ancienne technique d’impression de textes et de figures avec des planches en bois gravées en relief, en usage aux XVème et XVIème siècles, dont Dürer fut un génial initiateur. La gouge attaque les veines du bois de fil, en lutte, en force, tout en créant une grande sensualité au contact de la main sur ce matériau noble.
Dans son travail, la mort est souvent présente, soit sous une forme allégorique, soit descriptive. Il faut attentivement scruter chaque gravure pour en découvrir un signe. Les œuvres de cette exposition, très riche et variée, interpellent fortement le visiteur, elles sont le miroir de ses propres doutes et inquiétudes, elles soulèvent des interrogations fondamentales sur la violence, la liberté, la difficulté de s’accomplir en Être Humain de Bien.
« Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu » (Rien dans l’intellect qui ne serait d’abord dans les sens) Saint Thomas d’Aquin.
Claude Verrier
Exposition Galerie Saphir
69 rue du Temple – 75003 Paris
Jusqu’au 17 avril 2022
Tous les jours de 13h00 à 19h00
Tél. 01 42 72 61 19