Ces valises à roulettes symbolisent un phénomène qui explose à Paris : la location de courte durée d'appartements meublés.
Ils envahissent les résidences parisiennes, ces touristes qui trainent leur valise derrière eux. Ils vont et viennent dans les immeubles qui résonnent souvent, quand il n'y a pas d'ascenseur, du boum-boum des roulettes sur les marches d'escaliers. Ils viennent de tous les horizons. Paris est une tour de Babel où les langues entendues, dans le métro, dans la rue, n'évoquent plus rien de ce que nous connaissons.
Grâce à Internet, ils ont trouvé le studio dont ils rêvaient dans le Marais : immeuble ancien, poutres et pans de bois, escaliers cirés. Ils passent leurs vacances dans le saint du saint, le cœur du Paris historique, dont ils savent qu'il est riche en animations en tout genre. La facture est plus douce qu'à l'hôtel. On peut davantage se serrer dans un studio ou un deux pièces et on peut faire sa cuisine soi-même ce qui évite la composante restauration qui pèse lourd dans les dépenses de séjour à l'hôtel.
On comprend clairement qu'il y ait une "demande". D'où provient l'offre ?
Elle ne peut être que diverse mais une typologie simplificatrice peut être dégagée : (1) les propriétaires d'un "pied-à-terre" à Paris qui cherchent à en réduire le coût voire gagner quelques sous et (2) les investisseurs avertis qui ont acquis le bien en vue de sa location meublée, sans intention de l'occuper, dans une vision productiviste.
Il serait abusif de condamner moralement les premiers. Ou alors, il faudrait en vouloir à tous les parisiens qui ont leur résidence secondaire dans le Luberon ou en Corse et qui n'hésitent pas à la prêter, moyennant "contribution financière", à des gens qu'ils connaissent plus ou moins.
On est tenté d'être moins tendre à l'égard de riches nationaux ou étrangers qui investissent en vue de louer à la petite semaine car la difficulté de se loger à Paris est due en partie à la faible motivation des propriétaires à louer leur bien vide ou meublé sur la base d'un bail ordinaire. Il ne faut pas se tromper toutefois, un rendement financier plus faible n'est pas la raison essentielle mais plutôt le risque de non-paiement des loyers et l'absence de liquidité du bien, dans les faits, le jour où on a envie de le vendre ou de l'occuper.
Les commentateurs mettent en avant régulièrement le rendement des locations meublées courte durée. Il est exact que le loyer "brut" atteint deux ou trois fois celui d'un appartement en location longue durée mais, ramené à l'année, compte tenu d'un taux d'occupation qui n'est pas de 100%, la recette est moindre et le rendement obéré par des charges incontournables de gestion (entrées-sorties, nettoyage, publication sur Internet ...).
Il n'y a donc pas de justification morale à condamner la pratique. Quel est d'ailleurs le "code" qui le justifierait ? Il convient d'ajouter que ces locations pallient l'insuffisance ou la cherté excessive de l'hôtellerie traditionnelle. En ce sens, elles favorisent le tourisme et pèsent de leur poids dans les statistiques qui font de Paris la ville la plus visitée au monde avec un chiffre de 35 Millions de personnes/an.
En revanche, il n'est pas choquant que les pouvoirs publics réagissent. A l'Hôtel de Ville, on considère que la location meublée courte durée contrarie une politique du logement qui vise à développer l'offre locative traditionnelle. De ce point de vue, il existe une alliance objective avec les professionnels de l'hôtellerie qui y voient une concurrence jugée déloyale.
Aussi la Mairie de Paris a-t-elle réactivé en 2009 l'article 631.7 du code de la construction qui, pour les villes de plus de 200.000 habitants, interdit la location meublée dans des logements qui ont le statut d'habitation. Chargée du contrôle de la "destination" des logements, elle exige désormais que tout changement du statut "habitation" vers celui de "commercial" fasse l'objet d'une déclaration, et elle oppose généralement à ce changement des conditions qui sont dissuasives. Le propriétaire se trouve dès lors en infraction si un logement n'ayant pas le statut commercial est proposé par lui en location meublée courte durée.
Les habitants propriétaires-résidents ne sont pas opposés par principe à ce que d'autres propriétaires, non résidents, se livrent à cette pratique pour autant que le règlement de copropriété autorise l'utilisation commerciale du logement. Dans le cas contraire, il appartient au syndic et au conseil syndical de faire en sorte que chacun en soit averti et que le règlement soit respecté.
Si on en juge par des réactions recueillies auprès d'un certain nombre d'entre eux, tout est affaire de mesure. Si le phénomène est marginal, il n'est pas dérangeant. S'il prend des proportions excessives, des nuisances sont dénoncées : sonores (arrivées/départs tardifs, fêtes et vie nocturne bruyante), dangers de fuites d'eau ou de gaz dues à des robinets mal fermés, insécurité (large diffusion des codes d'accès), dégradation du standing de l'immeuble, allées et venues ou syndrome "hall d'hôtel", travaux fréquents de remise en état, etc ... On reproche aussi aux visiteurs leur absence de soins à l'égard du cadre de vie et des parties communes.
Au-delà des aspects fiscaux propres à l'activité et à ceux qui s'y livrent, des amendes administratives lourdes sanctionnent le non-respect de l'obligation de déclaration de l'usage commercial. Pour autant, la procédure de verbalisation ne nous parait pas encore bien établie.
Autre article qui date de novembre 2010 : Le marché de l'immobilier dans le Marais
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