Immeuble "Art Nouveau", 39 rue Réaumur (IIIe). Les étages élevés sont mis en valeur (balcons, loggias, colonnes, consoles, rosaces et motifs végétaux)
Tout le monde s'accorde à reconnaitre que l'architecture des XIXème et XXème siècle avait été négligée dans le PSMV (plan de sauvegarde et de mise en valeur) du Marais en 1996. L'attention des rédacteurs à l'époque s'était focalisée sur l'architecture des XVIIème et XVIIIème siècles, sachant qu'il existe peu de vestiges du moyen-âge et de la renaissance. L'Art nouveau, caractéristique des années post-haussmanniennes et l'Art Déco, qui a prospéré autour de 1920, s'y trouvent pourtant en abondance même si leur présence se manifeste surtout en périphérie du Marais (rues du Renard, Beaubourg, des Archives, Réaumur, de Bretagne, de Turenne ....).
La délibération du Conseil de Paris des 12 et 13 novembre a comblé cette lacune. Nous nous en réjouissons. Le texte de 22 pages qui présente le projet de PSMV révisé, avec ses considérants, ses orientations et ses conclusions vaut d'être consulté par tous ceux qui s'intéressent au patrimoine exceptionnel dont nous disposons dans le centre historique de Paris, et à son devenir.
Pour en parler, il nous parait inutile de le paraphraser. Certains aspects méritent cependant qu'on les analyse et qu'on les commente sans se soucier du "politiquement correct" qui caractérise les textes officiels et leur langue de bois.
Sur la "concertation" d'abord, présentée comme un modèle du genre, nous aimerions relativiser. Les divers ateliers qui se sont tenus effectivement en mairies étaient soigneusement encadrés et seules sont remontées les prises de position qui obéissaient à la ligne tracée par les animateurs. Notre association, qui est pourtant membre de la "commissison locale du secteur sauvegardé", n'a pas été autorisée, au stade de l'examen du projet en commission, à exposer l'opinion de nos adhérents, souvent des érudits en histoire et architecture de Paris.
C'est d'autant plus regrettable que nous approuvons la plupart des dispositions proposées. Nous serons certes amenés à défendre des points de vue d'habitants qui auraient localement des objections à telle ou telle mesure, mais nous n'aurions pas voté contre le texte de la commission, repris par la Mairie de Paris, si nous avions été présents à la séance (deux fois reportée) du 23 octobre 2012.
Pour ceux qui n'auraient pas la force de lire les 22 pages et qui ne sont pas dépourvus de sens critique, voici ce que nous en retenons, avec nos commentaires et nos réserves.
Il est dit que la densité du "bâti" est faible dans le Marais, inférieure à la moyenne parisienne. Ce qui justifie la décision de densifier. C'est vrai, parce que les immeubles sont bas. Mais comme les immeubles sont serrés les uns contre les autres le long de rues étroites, la densité au km² est la plus haute de Paris, notamment dans le IIIe (source APUR). Cette densité-là crée le sentiment d'étouffement que le PSMV actuel avait résolu de réduire pour "donner de la respiration" aux quartiers, en démolissant les constructions parasites, en reconstituant les cours et espaces verts ainsi que les cheminements.
Il faut rappeler que le centre de Paris est le siège d'une "bulle de chaleur" où les températures dépassent de 4 à 7 degrés celles des quartiers périphériques. C'est moins sensible dans le IVe, à cause de la Seine qui raffraîchit, mais le IIIe détient le recours absolu en la matière.
Ces édifices légers, qui occupent généralement des cours pavées, devaient disparaitre pour ce motif et rendre au bâti son harmonie originelle. Il n'en sera rien dans 90 % des cas. Il est vrai que certains d'entre eux méritent d'être pérennisés mais à ce titre combien de laideurs auront définitivement acquis droit de cité avec en prime une valeur foncière confortée ?
Edicules sur cour, 11 rue Portefoin (IIIe)
Le volet social, que personne ne conteste, mérite qu'on en mesure les conséquences. L'obligation qui est faite aux rénovations supérieures à 800 m² de consacrer 30% de la surface au logement social est généreuse dans son inspiration mais il faut être capable de surmonter les difficultés qui en résultent.
On a encore en mémoire les conflits dans la gestion du 108 rue Vieille du Temple (IIIe), en 2010. La présence dans une même copropriété d'habitants de statut social comparable mais dont certains bénéficient de conditions préférentielles, a conduit à des actions contentieuses mettant en cause la mairie.
Plus généralement, l'obligation pour le promoteur de céder 30 % de la surface à un prix diminué de 50 % environ, le conduit à augmenter ses prix sur les 70 % restant, tout calcul fait, de 20 % pour s'y retrouver. Si le marché était élastique au prix, le vendeur devrait limiter ses ambitions et s'en tenir au prix de marché, mais ce n'est pas le cas. S'il s'agit d'une rénovation prestigieuse, il trouvera toujours un étranger fortuné pour en payer le prix quel qu'il soit. Le résultat est une pression à la hausse sur les prix de l'immobilier, dont les records aujourd'hui interdisent aux parisiens de la classe moyenne d'accéder à la propriété.
Enfin, une autre conséquence domageable serait le renoncement pur et simple à la rénovation sur des programmes moins prestigieux où l'élasticité bien réelle de la demande au prix peut faire reculer le promoteur.
Alors que le Marais échappait - en théorie - aux dispositions de la loi SRU (solidarité et développement urbain) qui prévoyait une obligation de construire 20 % (bientôt 25 %) de logement social, le Marais désormais se distinguerait avec un taux de 30 % applicable dans son périmètre et non pas à l'ensemble de la commune comme c'est le cas en règle générale. Est-ce réaliste ? Une fois de plus, on le voudrait bien mais comment pourra-t-on parvenir à ce résultat ?
Pour ce qui est des équipements collectifs, on note avec satisfaction la création de deux crèches dans le IIIe, dont une bizarement au "carrefour maudit" des rues Temple/Haudriettes (encombrements, bruits et pollution record, on en reparlera ultérieurement), une école au 64 rue de Turenne, et pour le IVe, un gymnase au 10 rue Charles V.
Gérard Simonet