L'immeuble " le Caran" et le mur Napolèon III rue des Quatre Fils
La bataille semble s’intensifier entre modernistes et conservateurs, c’est-à-dire les promoteurs et les défenseurs, à propos du site de l’Hôpital Laennec. Des articles de presse relatent la situation actuelle contre laquelle des riverains se battent, à savoir la construction déjà bien avancée d’un immeuble à côté de la chapelle du XVIIème siècle dont il n’est pas acquis d’ailleurs qu’elle reste un lieu de culte.
Ce cas, qui s’est déjà produit dans le cadre d’autres projets, pose la question des limites de la préservation du patrimoine architectural face aux contingences de la société actuelle. Même le Marais, pourtant très protégé (cf article sur le PSVM) est concerné et certains exemples d’immeubles récents implantés à des endroits historiques peuvent sembler choquants pour les puristes.
Prenons le cas du Caran (Centre d’Accueil et de Recherches des Archives Nationales) rue des Quatre Fils (IIIe). En son temps, sa construction a fait débat. Si le projet fut lancé en 1976, il ne put démarrer qu’après son acceptation, 6 ans plus tard, par le Ministre de la Culture de l’époque Jack Lang. Les travaux ne démarrèrent qu’en 1986 et l’inauguration est intervenue en 1988. Il a donc fallu 12 ans pour mener à bien cette opération.
Les contraintes ont été fortes pour l’architecte retenu, Stanislas Fiszer qui est à l’origine de réalisations aussi diverses que la façade de l’Ambassade du Japon, les Thermes d’Aix les Bains ou l’extension de la Bourse de Varsovie. Il a dû, outre les problèmes techniques, tenir compte de la présence d’un côté, des communs de l’Hôtel de Rohan (XVIIIème), de l’autre d’un long mur d’époque Napolèon III et d'importants travaux en sous-sol.
L’aspect général du bâtiment, composé du Grand Caran et du Petit Caran, reste très moderne. Les matériaux employés et la volonté d’insérer au mieux ce nouvel ensemble dans ce paysage protégé ne se traduit véritablement que par la couleur de la façade proche de celle des pierres des édifices voisins.
Souvenons-nous de ce tag qui a longtemps « orné » un mur de l’autre côté de la rue et qui représentait un personnage montrant du doigt le Caran fraîchement construit s’exclamant : « Mon Dieu que c’est laid ! ». Si notre œil s’est habitué à voir cet ensemble ainsi, il n’en demeure pas moins que nous sommes très éloignés du style des constructions environnantes et peut-être qu’aujourd’hui les démolitions qui ont été entreprises ne seraient plus autorisées. De plus les murs extérieurs vieillissent assez mal.
Pourtant les Archives Nationales devaient s’agrandir, sécuriser leurs documents et apporter davantage de confort à leurs lecteurs. Cela signifiait aussi des espaces plus modernes, plus conviviaux, plus éclairés, en résumé plus attrayants en intégrant les meilleures techniques du moment. Or cette réalisation a permis de répondre au cahier des charges avec toutes ses composantes. Il était difficile d’y parvenir avec les immeubles existants.
Sculpture "les Quatre fils" de Y. Theimer
Ainsi, un architecte encore peu connu mais imaginatif s’est fait un nom, le Caran étant son premier grand chantier. Il ne s’est pas laissé entraîner dans une reproduction à l’identique et sans originalité des constructions environnantes. De même des artistes ont pu exprimer leur art, sans avoir à copier leurs illustres prédécesseurs. Citons le bronzier Yvan Theimer, concepteur du bronze des Quatre Fils sur la façade et auteur de l’Obélisque Mystique soutenu par des Tortues qui est installée dans les jardins de l’Elysée. Pierre Gaucher quant à lui a fabriqué les 4 grilles sur la rue et le jardin (elles ont été modifiées par la suite), la sculpture monumentale de la place Ballersdorf de Strasbourg est une autre de ses réalisations.
C'est de cette façon que de nombreuses œuvres d'artistes ont pu être créées et parvenir jusqu’à nous, forgeant par là même une partie de notre environnement actuel, mais des choix ont pu déplaire car ils conduisaient assez fréquemment à détruire des réalisations plus anciennes pourtant remarquables.
Dominique Feutry