Sobriété et distinction. Sous les arcades de la place des Vosges, ce restaurant, qui fait partie du patrimoine du Marais, est digne en tout point du cadre exceptionnel qui l'entoure (photo VlM)
Bernard Pacaud crée l'Ambroisie en 1981 quai de la tournelle dans le Ve. Très vite, ce chef surdoué s'attire les faveurs d'un public de connaisseurs. Dix mois plus tard il obtient sa première étoile Michelin, un an après sa deuxième.
En 1986, il se déplace au 9 place des Vosges dans le IVe, où il prend possession du local d'un joaillier. Il obtient sa troisième étoile en 1988 et ne l'a jamais quittée depuis. Au sein du club prestigieux des trois étoiles de Paris (ils sont 10 à Paris et 27 en France), il est le plus ancien dans cette distinction.
Bernard et son fils Matthieu (32 ans) règnent sur la cuisine. Danièle est à l'accueil et veille sur la salle avec le maître d'hôtel M. Vetaux.Danièle Pacaud et le maitre d'hôtel à gauche (photo VlM), Bernard Pacaud à droite
La carte est sompteuse. Renouvelée tous les trois mois, elle s'appuie sur les produits de saison. Entrées et plats recourent à la truffe en ce moment : oeuf en île flottante sur coulis de truffe, aspic de foie gras à la truffe, feuilleté de truffe et salade de mâche, Mont d'Or à la truffe. Les crustacés occupent aussi une place de choix : feuillantine de langoustines, noix de Saint-Jacques, fricassée de homard, matelote de baudroie aux écrevisses....
La carte des vins fait tourner la tête avant même d'y goûter. Un choix de dix millésimes de Montrachet, le plus grand des blancs de Bourgogne, donc du monde ! Un Pétrus 1995, dans les Pomerol. De la Romanée-Conti, dans la Côte de Nuits, réputée introuvable .... Des vins inaccessibles au commun des mortels mais nous sommes ici dans la demeure des Dieux de l'Olympe, dont le nectar était la boisson et l'ambroisie la nourriture, à ce qu'on dit.
Il faut bien sûr casser sa tirelire avant de s'y rendre. Les entrées sont à 100 € en moyenne, les plats varient de 95 à 240 €, les fromages/desserts autour de 30 €. Pour les vins, il n'y a pas de limite. Si une bouteille honorable peut coûter autour de 300 €, les plus prestigieux dépassent 10.000 € !
Il ne faut pas s'en offusquer. Ces artistes de la table travaillent pour le rayonnement de la France et pour l'équilibre de nos échanges. Leurs clients viennent du monde entier. S'il existe encore une clientèle locale, on assiste au déferlement de ressortissants de pays qui sont devenus nos créanciers, tandis que la vieille Europe s'essouffle. Tant mieux dans le fond s'ils sont prêts, par snobisme souvent, à dépenser 30.000 € pour s'offrir un vin mythique qui est hors de notre portée. Cet argent entre dans notre économie et nous en avons bien besoin.
Il convient d'ajouter que plus de vingt personnes extrêmement qualifiées sont nécessaires au fonctionnement de l'établissement. Un restaurant qui est condamné à l'excellence, faute de quoi les étoiles s'éteindraient les unes après les autres. Dire qu'il est cher n'a pas de sens : il coûte le prix de la perfection.
La décoration participe au plaisir du repas. On le doit à François-Joseph Graf. Il respecte l'environnement XVIIème siècle de la place des Vosges mais ne s'en sent pas prisionnier. C'est ainsi qu'il n'a pas hésité à mélanger les genres pour le mobilier : l'art déco côtoie les styles anglais et viennois. Les tapisseries sont classiques et donnent au cadre de la chaleur et le sentiment d'être "chez soi", dans un décor irréel cependant, en attendant que résonnent les douze coups de minuit pour un retour à la réalité.
Une des salles à manger (photo VlM)
Dans ce restaurant d'exception, un évènement exceptionnel s'est produit. En 1997, Jacques Chirac alors président de la République, y a emmené son invité Bill Clinton. C'était une dérogation à la règle qui veut que les chefs d'Etat étrangers soient reçus à l'Elysée. Mais Jacques Chirac l'a voulu ainsi. Danièle Pacaud raconte que le quartier était envahi de gardes US armés, de fonctionnaires de la CIA, et les cuisines investies par une armée de goûteurs inquiets des risques que leur président soit empoisonné !
Gérard Simonet