La pietà de Delacroix. Eglise Saint-Denys du Saint-Sacrement, 68 rue de Turenne (IIIe)
Beaucoup de ceux qui empruntent la rue de Turenne et passent devant l’église Saint Denys du Saint Sacrement au N° 68 sont attirés par son péristyle à colonnades orné d’un fronton triangulaire décoré par le sculpteur Jean-Jacques Feuchère qui est aussi l’auteur de la statue dite « la loi » place de Palais Bourbon. Nous sommes en présence d’une construction typique du XIXe siècle due aux talents d’Hyppolyte Godde (1781-1869) architecte de la Ville de Paris qui l’acheva en 1835. On doit aussi à ce dernier les églises Notre Dame de Bonne Nouvelle et Saint-Pierre du Gros Caillou. Mais peu nombreux sont les passants qui peuvent imaginer que c‘est une peinture de Delacroix qui constitue aujourd’hui, de l’avis de tous les spécialistes, la pièce maîtresse, le chef d’œuvre de cette église. Cette célèbre pietà est située dans la chapelle Sainte Geneviève où est installée une statue de la sainte, exécutée en 1868, due au burin de Jean-Joseph Perraud (Prix de Rome dont les plus belles réalisations sont visibles au Musée d’Orsay).
La superbe Pietà, dite aussi "Déposition de la Croix" d’Eugène Delacroix, fait suite à une commande du Préfet Rambuteau. La réalisation de ce tableau avait été d’abord demandée à un autre peintre Robert-Fleury (dont les œuvres principales sont notamment exposées aux musées du Louvre, de Chantilly, de Versailles et de Pau) qui a préféré solliciter Delacroix pour l’exécuter. Comme les rapports entre Delacroix et l’Administration d’alors ne sont pas très bons, ce dernier doit batailler avec la Préfecture et notamment le chef des Beaux-Arts pour se voir confirmer la commande.
Les atermoiements et les obstacles furent nombreux entre ceux qui donnaient des avis et ceux qui ne se pressaient pas pour signer. Il est vrai que le tableau fut payé 6 000 francs. Ainsi la commission des Beaux-Arts interrogée sur les esquisses demanda d’enlever des anges, le curé de la paroisse soutenu par son Conseil de Fabrique s’opposa au thème de la pietà trop courant. Des problèmes d’enduit non posé à temps, car la peinture à l’huile est exécutée à même le mur, retardent encore l’exécution du travail et ce n’est que 5 ans après la passation de la première commande que la pietà est présentée au public. Les critiques sont partagées. Certains parlent de charlatanisme, « …cinq ans d’attente pour arriver à un résultat aussi lamentable… ». D’autres écrivent que c’est «…une chose incroyable... ». Le mot de la fin est de la plume de Baudelaire pour qui «ce chef d’œuvre laisse dans l’esprit un sillon de mélancolie ».
La gageure n’était pas simple pour Delacroix car outre les arcanes de l’Administration et l’opposition du curé, il a dû composer aussi avec l’emplacement sombre de la chapelle. Il a travaillé en hiver les jours où la luminosité est la plus forte. Or il constate que son assistant a utilisé des couleurs trop sombres et doit reprendre son travail (plusieurs dizaines de séances seront nécessaires) même s’il ne parvient pas finalement vraiment aux teintes souhaitées. Le tableau est donc sombre dans un lieu sombre. Néanmoins en l’observant, surtout en l'absence d'éclairage artificiel, nous nous rendons compte de l’intensité de l’exécution, des contrastes voulus entre le fond obscur et la lumière de personnages principaux, la Vierge, bras étendus et le Christ, sur les genoux de sa mère, avec une utilisation très étudiée du rouge. Petit détail, on distingue dans le fond du tableau, le peintre et son assistant!
Dominique Feutry