J'ai eu le plaisir de rencontrer il y a presque quatre ans Eric Labbé, celui qui "fait le buzz" en ce moment avec l'élection d'un "maire de la nuit". Nous partageons, je peux le dire car il n'y a en cela rien de diffamatoire, le même intérêt pour la cosmologie. La passion de l'espace-temps cher à Einstein, l'infini et les étoiles. Pas celles que voit ce consommateur en levant pour la nième fois son verre. Les vraies, qui reproduisent peu ou prou notre soleil à des milliards de milliards d'exemplaires.
Eric Labbé organise des évènements et il a montré qu'il sait le faire. C'est lui, en 2010, qui avait eu l'idée de cette pétition sur le thème des "nuits parisiennes qui meurent en silence". Initiative soutenue à la Mairie de Paris par Ian Brossat, puis par Mao Péninou, Maire-Adjoint chargé du Bureau des Temps, à qui Bertrand Delanöe avait confié la tâche d'organiser des "états généraux de la nuit".
Le cahier des charges de M. Labbé vis à vis de ceux qu'il défend se résume à quelques objectifs : représenter par un "maire de la nuit" les gens qui veulent se divertir à Paris et par voie de conséquence ceux qui leur en procurent les moyens, c'est-à-dire les propriétaires de lieux nocturnes, les débitants de boissons et les fournisseurs de matériel de sonorisation ; rendre l'exploitation des établissements plus aisée en allégeant leurs obligations et les sanctions en matière de maintien de l'ordre et de respect du voisinage. Accessoirement, essayer d'obtenir des subventions de la Ville ou de la Région, sur nos impôts, pour financer des travaux d'insonorisation.
On retrouve les mêmes arguments qu'en 2010 pour le même but poursuivi, pour une même cible : les élus de Paris. Alors, il convient de rappeler quelques vérités.
Rappeler d'abord que les gens qui "font la fête" à Paris sont minoritairement des parisiens qui vivent et votent à Paris. Les candidats à l'élection du Maire de Paris ne doivent pas s'y tromper ! Lors de la séance d'ouverture des "états généraux de la nuit", le 12 novembre 2010, Luc Gwiazdzinski, géographe d'un cabinet d'études commandité par la Ville, nous apprenait qu'à partir de minuit, 95 % des parisiens sont couchés et veulent dormir. Il en résulte que la majorité (75 % selon certaines sources) des noctambules de Paris ne sont pas des parisiens.
Ce même cabinet d'études soulignait que pour 1.000 établissements de nuit dans Paris intra-muros, il n'y en avait que 60 dans la couronne. Chacun sait qu'il y a 10 millions d'habitants en périphérie pour 2,2 millions à Paris. On constate la disproportion des ratios. Paris regorge d'activités nocturnes, dans un habitat résidentiel très dense donc inadapté, mais trône au milieu d'un désert.
Alors, nous disons à ceux qui veulent bien nous entendre : ne vous acharnez pas à vouloir étouffer la plainte des parisiens qui ne peuvent pas se reposer la nuit, ne leur demandez pas de partir à la campagne quand le bruit les rend fous, n'essayez pas de convaincre les pouvoirs publics qu'ils doivent ignorer la protestation légitime de ceux qui souffrent. Nous disons nous, au contraire, qu'ils doivent être encore plus défendus.
Observons que les défenseurs de la nuit débridée ne font aucun cas d'autres activités nocturnes au moins aussi respectables : les restaurants, le cinéma, le théâtre, l'opéra, les concerts, les soirées en ville, les évènements culturels, les expositions, les nuits thématiques, les séminaires.... Autant d'activités qui ne créent généralement pas de nuisances. Voilà ce qu'un Maire éclairé, soucieux de hausser le niveau de sa ville, doit soutenir et ne pas se borner à promouvoir la bamboche de M. Eric Labbé et de son allié "Culture Bar-Bars".
Car Paris et ses nuits ne meurent pas. Paris est la ville la plus visitée du monde (27 millions de touristes en 2012, autour de 35 millions en 2013 - source Wikipédia). Si Paris meurt, que dire des autres ? Paris souffre plutôt d'hyperactivité. Bientôt, il sera impossible de prendre le métro, les taxis sont introuvables, il est même difficile de marcher dans les rues les week-ends. Si Paris est la ville de loin la plus fréquentée, personne ne veut croire que tous ces gens ne sortent pas le soir. C'est bien ce qu'on observe du reste en parcourant la ville la nuit.
Les candidats à la Mairie de Paris doivent bien réfléchir. S'ils écoutaient les sirènes de "Culture Bar-Bars", et si le gouvernement et ses ministres décidaient de les suivre, ils développeraient sans doute l'économie de la nuit. Mais les parisiens s'en iraient. Paris s'acheminerait vers une sorte de ville "Club Med". On en perçoit les prémisses dans le IVe arrondissement. C'est le plus agité du Marais. Il perd ses habitants (6,84 % de baisse entre 1999 et 2007). A l'inverse du IIIe, plus sage, qui progresse chaque année. Certes les mouvements sont lents, comme les aiguilles de l'horloge, mais l'heure tourne.
Dans les immeubles, on constate déjà que les habitants traditionnels sont remplacés par des visiteurs, sympathiques au demeurant avec leurs valises à roulettes, qui profitent d'un contrôle insuffisant de la location meublée saisonnière, le nouvel eldorado des propriétaires qui voient dans cette pratique la seule façon de faire un investissement rentable dans l'immobilier - et la loi Dufflot n'est pas encore promulguée !
Les candidats déclarés nous laissent perplexes à ce stade. Anne Hidalgo veut nommer un Maire-Adjoint à la nuit. Un de plus, nous répond Nathalie Kosciusko-Morizet qui la raille sur le fait qu'il y déjà trop d'Adjoints, dont le coût individuel serait de 600.000 € par an. Ajoutons qu'il existe déjà un Maire-Adjoint faisant fonction de Maire de la Nuit. C'est Philippe Ducloux qui a repris les fonctions précédemment tenues par Mao Péninou pour le suivi des "états généraux de la nuit".
Nous attendons avec intérêt que les autres se prononcent. On commence à percevoir leur intérêt pour les thèmes que nous défendons. Il faut qu'ils aillent plus loin, il faut que les ténors (ou sopranos) revoient aussi leurs positions, trop ambigües à notre gré.
Nous tenons cependant à les rassurer. Il n'est pas indispensable de trancher dans le vif. Chacun s'accorde à dire que dans le Marais, qui est un véritable laboratoire en la matière, les choses se passent bien car chacun respecte l'autre. Notre association n'y est sans doute pas étrangère. Il y a tout juste, on va dire, UN abcès par arrondissement. Dans ce cas on le traite avec l'aide des mairies, de la police et de la préfecture et, s'il le faut, des tribunaux. Mais attention, l'équilibre est fragile et chacun en est conscient. Il n'y a pas de place pour l'implantation de nouveaux "lieux festifs" susceptibles de faire pencher intempestivement la balance. On l'a vu pour la rue Pierre au Lard, l'Îlot Charlot et la place Thorigny.
Nous publierons avec plaisir les réponses des uns et des autres. Mme Kosciusko-Morizet a déjà fait l'honneur de sa visite aux associations réunies en formation "Vivre Paris !" ; Mme Hidalgo a été officiellement invitée à nous rencontrer, les autres sont les bienvenus. M. Labbé aussi, avec qui nous ne partageons pas toutes les analyses, mais nous savons en discuter dans la bonne humeur.
Sachant que si la conversation s'échauffe, nous avons toujours la ressource d'aller faire un tour dans les galaxies.
Gérard Simonet