L'affaire de l'Hôtel de Mayenne (École des Francs-Bourgeois), 21 rue Saint-Antoine (IVe), illustre bien la problématique que soulève la nouvelle loi de protection du patrimoine. Au moment des décisions, la Maire du IVe, Dominique Bertinotti, voulait conserver l'ajout central du XIXème siècle (photo de gauche) contre l'avis du Ministère de la Culture et des architectes des bâtiments de France. Ces derniers avaient le pouvoir, la restauration s'est faite (photo de droite). Chacun s'accorde à dire aujourd'hui qu'il aurait été dommage de renoncer aux travaux quand on voit l'élégance du bâtiment à qui on a restitué son architecture d'origine.
Bien que le France bénéficie des meilleures lois de protection du patrimoine, celles-ci sont depuis des années progressivement attaquées. Ainsi les zones de protection et de mise en valeur existantes, désignées par des sigles complexes que nous éviterons de citer mais qui n’enlèvent rien à leur efficacité, sont petit à petit détricotées par les ministres de la culture successifs. Nous avions relevé les prémisses de cette évolution en 2008, au moment de l'annonce de la révision du PSMV (plan de sauvegarde et de mise en valeur) du Marais
Mais cette fois le projet de loi qui concocte le ministre de la Culture est ravageur en ce sens qu’il remet en cause l’équilibre actuel.
Certes le nouveau texte propose de classer, y compris in situ (avec accord du propriétaire), des ensembles mobiliers, de créer la notion de « Domaines nationaux». Mais au sein du ministère du Budget « France Domaines », l’entité chargée de vendre des biens appartenant à l’État, n’a pas forcément les mêmes objectifs… Or ces quelques avancées ne sont rien face aux reculades proposées par le nouveau texte.
Le plus discutable concerne la transformation des secteurs sauvegardés (loi Malraux et loi Lang) - le Marais est en PSMV - qui seraient dorénavant élaborés par les villes, avec « …l’assistance technique et financière… » de l’État. Les spécialistes sont formels, cette disposition transfèrera la maîtrise d’ouvrage des PSMV ou des « PLU patrimonial » (nouveau nom des zones protégées) aux communes, alors qu’actuellement l’élaboration est conjointe entre l’État et le maire. Le ministère de la Culture devient donc simple conseil actant ainsi le désengagement de l’État de sa fonction de garant du patrimoine. Toute commune pourra désormais refuser la protection d’un ensemble sous le régime du PSMV ou du « PLU patrimonial » sans que l’État puisse l’y contraindre !
La protection de notre patrimoine, faut-il le souligner, deviendra locale avec ce texte. Tout au plus le ministère de la Culture pourrait-il imposer le titre de « Cité historique » sans conséquence autre pour les élus.
Les abords des monuments historiques qui sont eux aussi protégés risquent de faire les frais de la réforme en cours. Le champ d’action des architectes des bâtiments de France (ABF), validant permis et déclarations de travaux, sera réduit seulement aux « …espaces les plus remarquables… ». Des constructions pourront en conséquence être faites plus facilement sur les autres espaces… Ce qui revient à réduire les périmètres de protection. Et ces périmètres auront un caractère transitoire puisqu’ils devront être délimités à nouveau chaque fois qu’un PLU sera élaboré, modifié ou révisé !
Cette magnifique chapelle romane des XIIème/XIIIème siècles est préservée de toute construction dans un rayon de 500 mètres. La municipalité concernée aura-t-elle le pouvoir d'y autoriser, par exemple, la construction d'un lotissement tout autour ?
(Photos VlM)
Un autre élément soucie les spécialistes du patrimoine, le fait d’institutionnaliser dans ce texte, et c’est une dérogation toute particulière, la possibilité d’accroître la hauteur ou le gabarit d’une construction présentant «…un intérêt public du point de vue de la création de l’innovation et de la qualité architecturale ». Ainsi il sera autorisé de « modifier un PLU pour la seule emprise d’un projet afin d’en augmenter la constructibilité.»
En résumé chacun s’accorde à dire que le désengagement de l’État est dramatique pour la protection de notre patrimoine car les élus qui se débattent pour équilibrer le budget de leur commune, auront souvent bien du mal à assumer les coûts financiers induits par cette évolution !
Sans parler de tous ceux qui, étant plus béotiens qu'esthètes, sont prêts à accepter n'importe quelle incongruité.
Dominique Feutry