La rue Aubriot (IVe - photo ci-dessus) servit de cadre à une affaire que nous avons suivie de près. La Mairie de Paris avait dressé un procès-verbal d'infraction au code de l'urbanisme en 2006. Le prévenu a été traduit devant la Cour cinq ans après, en 2011. Il a plaidé l'ancienneté de l'affaire. Le tribunal a retenu la prescription des faits et prononcé, en conséquence, l'extinction de l'action publique et l'irrecevabilité des parties civiles. C'est un peu comme si la Justice, nonobstant un principe universel de droit, s'était prévalue de sa propre turpitude (*) ...
De nombreuses personnes travaillent pour la Mairie de Paris à la Direction de l'Urbanisme sous l'autorité de Claude Praliaud qui est au sommet de la technostructure. Lui-même est placé sous l'autorité d'un élu, Jean-Louis Missika, Maire-Adjoint de Paris en charge de l'Urbanisme, avec son cabinet.
Une partie importante des effectifs est consacrée à l'étude des dépôts de permis de construire, aux demandes d'emprises pour chantiers et aux déclarations préalables de travaux (enseignes, devantures et autres) ainsi qu'aux demandes de changement de destination (commerciale vs habitation). Il reste qu'une activité importante est assumée par des agents qui exercent un contrôle : inspecteurs et contrôleurs de terrain, juristes et personnel administratif, avec leur encadrement. Au total, ce sont plusieurs dizaines de personnes qui veillent au respect des règlements.
De quelle manière ?
Lorsqu'ils constatent une infraction, forts de leur statut d'agents assermentés, ils dressent un PV (procès-verbal). Il arrive que les prévenus obtempèrent, en renonçant à l'infraction commise ou en déposant une demande de régularisation. Trop souvent, ils font la sourde oreille. Dans ce cas, le PV est envoyé au Parquet (Procureur de la République du tribunal compétent, le Tribunal de Grande Instance de Paris). Dans l'immense majorité des cas, le Parquet se comporte comme un "trou noir" (singularité de l'espace-temps, d'où rien ne ressort pas même la lumière).
La 31ème chambre correctionnelle du Palais de Justice de Paris (Photo VlM)
On ne doit pas forcément en conclure que les affaires sont "classées". On en ferait le deuil et on passerait à autre chose. Non, l'affaire reste "active" mais elle est en hibernation pour une durée indéfinie.
Ainsi, dans ce domaine qui nous est familier mais il y en a sûrement d'autres, on admet que des dizaines de personnes, auxquelles il convient d'ajouter les Architectes des Bâtiments de France du Ministère de la Culture, travaillent et s'activent "pour des prunes". La Justice apparait comme le maillon faible d'un processus qui fonctionne à grands frais et qui ne débouche sur rien. Y a-t-il une solution ?
On peut en imaginer plusieurs. Augmenter les moyens de la Justice est illusoire en cette période de déficit public qui tourne autour de 25 % des dépenses. Supprimer la totalité des effectifs dont l'action est inopérante serait la porte grande ouverte à des abus que les citoyens autres que les anarchistes ne peuvent accepter. Continuer de fermer les yeux sur une anomalie qui coûte cher et dévalorise le travail des personnes qui s'y consacrent ? C'est la politique de l'autruche et notre raison s'y résout difficilement.
La question s'adresse aux élus de la nation. Pourquoi maintenir un monopole des sanctions au bénéfice d'une magistrature débordée ? Des experts - architectes/urbanistes en l'espèce - assermentés, sont-ils moins qualifiés qu'un juge pour apprécier quelle doit être la sanction d'une infraction aux codes et règlements en vigueur en matière d'urbanisme ?
En conclusion, il nous semble que la sagesse et le bon sens (quand aurons-nous en France un Ministère "du bon sens" ?) commandent que nous sortions de la situation ubuesque que nous vivons en mettant en œuvre des dispositions à caractère "administratif" avec des barèmes de sanctions. Si les défenseurs du monopole de la justice s'y opposent, qu'ils fassent en sorte alors que le maillon faible que nous dénonçons s'efface d'une manière ou d'une autre. Il est frappant de constater que d'autres chaînes, notamment celle qui conduit au Tribunal de Police, laissent beaucoup moins de place au "classement" de fait qu'on observe presque toujours sur les questions d'urbanisme avec le TGI.
Nous nous tournons vers les Députés élus dans le Marais pour qu'ils nous donnent leur avis.
Gérard Simonet
(*) Les maîtres en droit enseignent au nombre de nombreux principes sacro-saints du droit universellement admis, un principe révélé en latin suivant lequel "nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude" (nemo auditur propriam turpitudinem allegans).
On peut craindre que ce que vous proposez soit le début de la fin d'un Etat de Droit seul garant de la démocratie chez nous.Ceci dit la situation actuelle n'est ^pas acceptable non plus. Je suis attentive à ce dira notre députée Madame Dagoma
Rédigé par : catherine | 29 décembre 2015 à 10:24
Réponse à Patricia :
La Mairie de Paris n'est pour rien dans la suggestion qui est faite d'élargir le champ des sanctions "administratives" au détriment d'une justice totalement débordée. Rendons à César ce qui est à César, c'est-à-dire nous, en toute modestie ...
Rédigé par : Vivre le Marais ! | 28 décembre 2015 à 20:33
Pour remédier au "trou noir" signalé par l'article, le transfert de compétence aux agents de l'administration paraît être une bonne idée, car on ne vise ici que des infractions matérielles = celles qui ne supposent qu'une constatation de faits matériels, sans référence à l'intention de leur auteur.
Mais imaginer que cela règlerait les difficultés parait bien illusoire et, rapportée à ce qu'elle accomplit elle-même, la perche tendue par la ville a des allures de manœuvre de diversion de sa part.
Attention à ne pas entrer dans la stratégie d'omnipotence engagée par la Maire de Paris. Elle veut prendre les pouvoirs du Préfet de police et ceux des juges, quel appétit !
Mais qu'elle commence par donner des gages de crédibilité. Pour l'instant, d'une part les effectifs de la DU aptes à verbaliser restent notoirement insuffisants et travaillent à des horaires inappropriés pour les terrasses; d'autre part, le vivier représenté par des agents d'autres directions reste totalement inemployé.
Chacun sait qu'une réforme législative est lente à aboutir, surtout au stade du calendrier des présidentielles.
Le fait qu'il y ait le "trou noir" ne représente pas une raison suffisante pour résoudre maintenant les carences dans l'organisation des services de la Ville de Paris et respecter les engagements de campagne...
Rédigé par : Patricia | 28 décembre 2015 à 16:02
Le processus décrit est accablant : constatation d'une infraction, dépassement du délai, impunité assurée. Est-ce le sort qui attend les PV pour terrasse illégale des places du Bourg-Tibourg et du Marché Sainte-Catherine ? car ces infractions durent depuis des années. Les avocats de la mairie ne peuvent-ils VRAIMENT rien auprès du tribunal pour éviter "l'oubli" du dossier au bas de la pile ? Il serait temps que la municipalité et la justice agissent, pendant que les habitants se retiennent encore de penser : "tous complices"...
On attend effectivement avec intérêt l'opinion - et l'action - de nos députés.
Rédigé par : Lancelot | 28 décembre 2015 à 15:12
La Justice à combien de vitesses?
Rédigé par : Cave canem | 28 décembre 2015 à 12:48
On se demande quel zèle peut être déployé par les agents de l'urbanisme et les architectes des BDF, en effet, pour traquer ceux qui trichent quand ils savent que les sanctions butent sur le silence ou la passivité de l'organisation judiciaire.
Rédigé par : Bruno | 26 décembre 2015 à 13:52