La place des Vosges
Jour après jour nous constatons que le Marais évolue. La plupart d’entre nous voit cette « gentrification », cette « boboïsation », ainsi que la montée en gamme des commerces (mode, prêt-à-porter) au détriment de ce qui reste encore des activités traditionnelles (artisans, commerces spécialisés...), tuant petit à petit le côté convivial, voire traditionnel du quartier attaqué aussi pas le développement sans précédent des locations saisonnières.
Si l’on procède par étape pour expliquer ce processus, revenons en arrière dans un temps pas si lointain. Le premier des changements a de toute évidence été la prise de conscience forte dans les années 60 de la richesse patrimoniale du Marais, intérêt qui avait permis quelques décennies plus tôt d’éviter son éradication pourtant souhaitée par des personnalités telles que le Corbusier (voir notre article du 13 août 2015). Le quartier est depuis lors devenu progressivement un quartier prisé, à la mode, comme il l’était au XVIIème siècle.
Il partait de loin et les nombreuses restaurations entreprises au fil des ans lui ont redonné ses lettres de noblesse, le visage qu’il méritait. Mais cette transformation a eu des effets pervers, l’augmentation significative du prix de l’immobilier dans un contexte de montée des prix dans la capitale accélérant le départ d’artisans, de petites entreprises, de commerçants traditionnels ne parvenant plus à assumer le coût de la location ou bien cédant leurs locaux pour encaisser de belles plus-values. Dans le même temps une vague de grossistes asiatiques a investi certaines rues en se spécialisant (bijoux fantaisie, articles en cuir…). Parallèlement la communauté gay a plébiscité une partie du IVe arrondissement, et l’attractivité du Marais pour les touristes a grandi.
Un des magasins de luxe installé rue des Archives IVe (Photo BHV)
Soulignons aussi l’effet « locomotive » de l’arrivée des 2 grands musées que sont le Centre Pompidou tout proche du Marais et le musée Picasso, et dans une moindre mesure le musée de la Chasse et de la Nature puis le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme qui ont participé au renforcement de l’offre culturelle, sans oublier la réhabilitation réussie du marché des Enfants Rouges connu aujourd’hui au-delà des frontières.
Après une pause assez courte dans sa transformation, des aménagements emblématiques (Carreau du Temple, réaménagement du musée Picasso) combinés au départ de grossistes, à la multiplication des magasins de prêt-à-porter, des galeries d’art, des hôtels chics, des marques de luxe (y compris de bouche), la montée en gamme de certains commerces en particulier du BHV qui a accolé Marais à son enseigne historique, ont constitué une nouvelle étape de la mutation du quartier. Ce que nous avons appelé l’étape clone de la Rive Gauche.
Des épiceries traditionnelles, des boucheries, des poissonneries, quelques boulangeries ont disparu mais le constat est le même au plan national. D’ailleurs si les magasins de type « Félix Potin » ont disparu, les supermarchés et les supérettes les ont finalement remplacés et la guerre est dure entre les enseignes alors que le maillage des meilleurs emplacements est mature, chaque groupe (y compris le secteur du bio) essayant d’attirer sous sa marque les franchisés concurrents !
Bien entendu dans ces mouvements d’ordre économique, nous pouvons ne pas comprendre l’intérêt de cette montée en gamme des commerces. C’est oublier que le Marais, où des étrangers aisés disposent d’un pied à terre, est devenu une sorte d’aimant pour les touristes. Le label « Marais » est synonyme de nec plus ultra pour nombre de touristes, ce qui les conduit à procéder à leurs achats in situ comme le font les clients asiatiques de Vuitton qui font la queue sur les Champs Élysées, alors que la marque est implantée dans leur pays d’origine !
"A la Ville de Rodez", le magasin-institution qui résiste 22 rue Vieille du Temple (IVe)
Il faut être réaliste, le Marais va continuer à évoluer. La Fondation d’art des Galeries Lafayette qui ouvrira rue au Plâtre (IVe) l’an prochain, suivie de celle d’Eataly rue Sainte Croix de la Bretonnerie (IVe), l’aménagement entre la rue des Archives (64-66) et la rue Charlot de l’important ilot appartenant à l'américain Blackstone, l’arrivée probable de nouvelles grandes marques (H & M est annoncée rue Vieille du Temple IIIe ) continueront à accroitre l’attractivité de nos deux arrondissements, à accroitre le prix de l’immobilier résidentiel et commercial, provoquant la probable disparition des derniers artisans resté sur place.
La tranquillité des riverains quant à elle restera perturbée alors que beaucoup d’entre eux n’ont pas souhaité ces changements, mais nous dira-t-on, il faut vivre avec son temps et accepter les changements inéluctables comme l’ouverture des commerces le dimanche, la multiplication des bars …
N’est-ce pas aussi tout simplement un des effets de la mondialisation qui alimente le débat actuel !
Dominique Feutry