Hôtel Lamoignon, siège de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, 24 rue Pavée (IVe) (Photo VlM)
Le Marais attire, le Marais intrigue, le Marais fascine... Il y a ceux qui cherchent à tout prix à y vivre. On les comprend et on les accueille volontiers mais ils font hélas monter le prix du foncier et "gentryfient" les quartiers. Ceux aussi qui y voient la poule aux œufs d'or et dépensent une fortune à acquérir des baux commerciaux pour ouvrir des boutiques de luxe. Il y a les touristes qui s'y pressent pour découvrir ses charmes et ses trésors....
Cet engouement n'échappe à personne et incontestablement pas aux médias qui consacrent au Marais des foules de reportages et raffolent d'interviews auprès des habitants pour savoir comment ils vivent dans cette sorte de "réserve", réagissent à l'invasion des visiteurs et s'organisent pour protéger tout autant le patrimoine collectif dont ils sont dépositaires que leur qualité de vie.
Il ne se passe pas une semaine sans que nous recevions des journalistes pour une interview sur ces problématiques. Dans l'affaire des rats qui ont fait la une ces mois derniers, ils sont venus de l'étranger pour enquêter sur un phénomène qui en a surpris plus d'un. On s'en serait bien passé mais voilà.... Il fallait assumer.
Plus motivante pour nous, une demande d'entretien nous est venue d'une jeune doctorante serbe qui a choisi le Marais comme objet de thèse, en association avec l'université de Paris 1. Le titre interpelle : "La patrimonialisation ou la mise en patrimoine du Marais". Aucun de ces deux termes ne nous parle de façon explicite. Ils font partie pourtant du langage des chercheurs et à ce titre nous avons jugé qu'il était intéressant de découvrir ce qu'ils recouvrent et d'ouvrir à l'étudiante les lignes de ce site.
Il s'agit d'Isidora Stanković, de l’université de Belgrade, détachée auprès de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Intentionnellement nous avons reproduit fidèlement son texte sans chercher à en optimiser le style tant nous avons de respect pour le niveau exceptionnel que peut atteindre dans la connaissance de notre langue un étudiant étranger dont la culture est plutôt éloignée de la nôtre.
Gérard Simonet
Nous vous invitons à lire l'introduction à sa thèse et d'en poursuivre la lecture en cliquant gauche au bas de cette page :
La patrimonialisation ou la mise en patrimoine du Marais
Le Marais. Un endroit que vous tous déjà connaissez très bien. C’est un des premiers endroits d’où la ville de Paris a commencé à se développer au Moyen Âge. En outre, il s’agissait d’un des endroits les plus prestigieux quand plusieurs rois de France y résidaient avec de nombreux fonctionnaires et des aristocrates qui ont construit des résidences luxueuses et célèbres. Pourtant, il y a eu des époques où c'était un des quartiers les plus pauvres, habité par des marchands, artisans et immigrants vivant dans des appartements surpeuplés sans système d’assainissement.
Le Marais est un des premiers quartiers parisiens juifs, et un des quartiers gays reconnu du monde, avec l'existence d'une importante communauté chinoise principalement dans le nord et une population diversifiée qu'on qualifie ici souvent de "bobos" (bourgeois-bohème). Sans oublier ceux qui, les plus nombreux, n'ont aucune étiquette. C’est aussi une des deux zones parisiennes déclarées secteurs sauvegardés par la « loi Malraux » de 1962 et un des quartiers de Paris qui a été, par la suite, fortement influencé par la gentrification, lors de sa rénovation.
Je suis d’origine serbe. Tout au long de ma vie, j’ai habité à Zemun – une municipalité de Belgrade, qui est longtemps demeurée une ville particulière à côté de Belgrade. Après une période de domination de l’Empire ottoman, Zemun a été occupé par les troupes allemandes-autrichiennes en 1717. À partir de 1749, il est devenu une communauté militaire libre avec l’administration communale. En 1918 Zemun devient partie de l’État des Slovènes, Croates et Serbes et en 1934 est annexé administrativement à Belgrade. Je pense que toutes ces raisons ont forgé à ses habitants une identité locale propre. Je me souviens, pendant mon enfance, de nombreuses visites des monuments de Zemun avec ma famille. Après, lors de mes études, en commençant d’étudier cette partie de Belgrade, j’ai découvert au fur et à mesure des associations liées à la préservation du patrimoine de Zemun, mais j’ai constaté aussi qu’il existe de nombreux habitants de cette municipalité intéressés à cet endroit, à son patrimoine et à son histoire et prêts à agir pour les préserver.
Je pense que c’est la raison pour laquelle j’ai inconsciemment choisi le Marais pour le sujet de ma thèse, essayant de trouver la réponse à : pourquoi les gens s’attachent tellement aux certains lieux, pourquoi ils s’attachent à un territoire urbain – un quartier.
Il y a deux raisons qui font du Marais un quartier important en terme de patrimoine. La première est la présence de nombreux monuments et vestiges historiques. La seconde, probablement plus importante, qui fait de ces traces du passé une « part de présent », est l’engagement de nombreux organisations, institutions, groupements de sauvegarde ainsi que des communautés dans la sauvegarde, mise en valeur et sensibilisation à certains éléments de son passé.
Dans ce contexte, ma thèse aborde la question de la patrimonialisation de ce quartier, c’est-à-dire de la préservation et transmission du passé du Marais par les différents acteurs. Elle vise à répondre aux questions suivantes : quels acteurs sont investis dans le processus de la patrimonialisation de ce quartier – sur quelles échelles le patrimoine de ce quartier est activé – interprété, préservé et transmis ; quelles parties du passé du quartier ils « activent », comment et pourquoi ; quelle est la relation entre les discours sur le patrimoine du Marais qu’ils fabriquent ; et finalement, à qui le patrimoine est transmis.
Lors de mes recherches, j’ai repéré les acteurs suivants inclus dans la patrimonialisation de ce quartier – les associations et les institutions patrimoniales qui y organisent les programmes variés et influencent la sauvegarde, mise en valeur et sensibilisation au patrimoine du Marais, ainsi que les communautés dont l’identité est le quartier lui-même et qui se sont investies dans la transmission des souvenirs sur le Marais dans leur vie quotidienne. Un autre sujet, particulièrement important quand il s’agit du Marais et de la sauvegarde de son patrimoine, est le cadre législatif – les lois françaises et internationales qui visaient, au fur et à mesure, à préserver les secteurs plus larges et qui ont influencé l’adoption de la loi Malraux, et puis la rédaction du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Marais, son adoption, application, critiques, enquête publique concernant sa révision et sa révision elle-même. D’un autre côté, l’augmentation du nombre des touristes, l’ouverture des galeries d’Art et d’autres institutions patrimoniales, la mutation des activités artisanales et l’installation des marques haut de gamme, la gentrification – modification de la structure sociale de cet endroit ont tous influencé l’apparence de ce quartier.
Toutes ces activités des associations, les programmes des institutions patrimoniales, les rôles de ce quartier dans la constitution de l’identité de ses habitants, le cadre législatif, la gentrification, le tourisme et beaucoup d’autres sujets liés à ce quartier nous parlent de notre monde d’aujourd’hui et de sa perception du passé. Toutefois, ils nous aident également à réfléchir sur l’avenir de ce quartier et de son patrimoine.
Si vous êtes intéressés que nous organisions un entretien lors duquel nous pourrions parler de votre avis sur le Marais et sur son patrimoine, je vous serais très reconnaissante, parce qu’une partie importante de ma recherche est de voir ce que les habitants pensent du patrimoine du Marais, et s’il a un rôle important dans leurs vies et dans la création de leurs identités.
Isidora Stanković est doctorante en histoire de l’art en co-tutelle entre la Faculté de Philosophie, Université de Belgrade et l’École doctorale d’histoire de l’art, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a obtenu ses diplômes de Licence, Master 1 et Master 2 en histoire de l’art à la Faculté de Philosophie de Belgrade où elle a été chargée de cours dès le début de son doctorat. De janvier 2016 à avril 2017, elle a travaillé en tant qu’assistante de recherche à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne avec le professeur Dominique Poulot sur le projet Cultural Base, Social Platform on Cultural Heritage and European Identities, retenu au sein du programme Horizon 2020 de l’Union Européenne. Ses domaines de recherche incluent le patrimoine, la muséologie, les lieux de mémoire, la mémoire collective et culturelle.