La lutte contre le bruit est un impératif de santé publique
Nous reproduisions ci-dessous un condensé de l'exposé du Dr Bertrand Lukacs, président de l'association des riverains du canal St Martin (Xe) et de la nouvelle association "Vivre Paris !" devant les participants au "conseil de la nuit" du 7 mars 2018 à l'Hôtel de Ville :
Bonjour à tous et merci de me donner la parole.
Nous ne partageons pas l’optimisme des intervenants précédents. Pour nous le bilan est simple. Au mieux la situation est stationnaire, au pire elle s’est aggravée et il y a aujourd’hui plus de pire que de mieux.
Pourquoi cette discordance alors que, au moins dans du discours, nous partageons la même analyse sur les conditions à remplir pour le développement équilibré du développement de la vie nocturne ?
Ce développement doit s’appuyer sur deux éléments très structurants que personne ne peut contester.
- Pour l’homme le temps de la nuit n’est pas le même que le temps du jour. Le temps de la nuit est celui du repos et du sommeil, le temps du jour est celui de l’activité et du travail. Cet équilibre est la base de notre physiologie. Une des conséquences est que les travailleurs de nuit, toutes choses étant égales par ailleurs, sont exposés à une morbidité plus importante que les travailleurs du jour, comme le récent rapport de l’institut national de veille sanitaire le montre très bien.
- Le bruit est pour l’homme une pollution. C’est même la deuxième pollution après la pollution atmosphérique. Comme toutes les pollutions, elle engendre une morbidité et un coût sociétal qui s’élève à plusieurs milliards d’euros. Et le bruit est particulièrement sensible la nuit pour deux raisons : la première est notre besoin de dormir la nuit, la seconde, peu connue, est que la nuit, contrairement à d’autres organes, l’oreille reste ouverte et perçoit les bruits de la même manière que si nous étions éveillés.
Une priorité beaucoup trop haute est donnée au développement d’une nuit festive peu ou mal régulée au détriment du sommeil des riverains. La course que se font les grandes villes européennes pour le développement du tourisme nocturne peut conduire à ce que l’on observe aujourd’hui à Barcelone ou à Budapest avec des quartiers où la population se révolte contre cette situation non régulée.
Manifestation contre le tourisme de masse à Barcelone
Et cette priorité s’accompagne d’une incroyable asymétrie entre les citoyens. Il est tout à fait possible pour un établissement de mettre en place rapidement une activité ne respectant pas la législation et créant des nuisances pour les riverains. En revanche il va être extrêmement compliqué et long pour les riverains de faire valoir leurs droits et de faire respecter la législation. Il va falloir des mois et des années de souffrance et de combat pour que ces nuisances cessent.
De la même façon ce qui est choquant dans cette nouvelle tendance d’occuper l’espace public la nuit c’est l’absence de régulation protégeant aussi les consommateurs d’alcool et d’autres substances. Au-delà des nuisances sonores, comment peut-on tolérer des dérives nocturnes conduisant à des états d’hyper alcoolisation des jeunes, véritable fléau, quand il existe un arrêté interdisant, comme c'est le cas au canal St Martin, la consommation d’alcool à partir de 21 heures et dont les conséquences indirectes mesurables sont les 2,5 tonnes de canettes de bière, de bouteilles d’alcool et de déchets ramassées tous les matins sur le quai.
Face à cette réalité, il existe des perceptions différentes. Nous tenons ici à saluer les propos du Préfet de Police de Paris expliquant récemment dans Le Parisien sa politique consistant à faire respecter simplement la loi dans un souci d’équité et de protection de la tranquillité des riverains. Nous sommes également intéressés par la mise en place de la police de sécurité du quotidien et nous sommes prêts à être impliqués dans cette nouvelle démarche. Enfin nous saluons la prise d’arrêté interdisant la consommation d’alcool dans certains lieux mais nous demandons qu’ils soient effectivement respectés.
Nous voulons que parallèlement à la politique du développement de la nuit, la mairie de Paris s’engage dans une vraie politique de lutte contre le bruit intégrant en priorité le bruit de la nuit. Nous demandons à Mme Hidalgo qu’elle ait pour la pollution par le bruit la même détermination qu’elle affiche pour la pollution atmosphérique.
Nous demandons que soit mis fin à cette incroyable asymétrie entre ceux qui sont responsables des nuisances et ceux qui les subissent. C’est simplement une question d’égalité des citoyens face à la loi. Nous demandons à travailler avec les mairies, la Préfecture de Police et tous les services concernés, à la mise en place d’un circuit court aidant et protégeant les riverains subissant des nuisances pour y mettre fin le plus rapidement possible. Un tel système est opérationnel dans la ville de Rotterdam.
Enfin nous demandons que pour les occupations nocturnes de l’espace public nous puissions définir, sous la coordination de la Mairie de Paris et de la Préfecture de Police, un cadre clair de régulation des nuisances élaboré en concertation étroite avec les riverains et une évaluation de la situation régulièrement sur des critères objectifs partagés.
En conclusion nous pensons qu’il est tout à fait possible de développer une vie nocturne équilibrée. Pour ce faire, il est urgent de corriger les asymétries d’aujourd’hui. Nous voulons travailler avec les différentes entités concernées pour y parvenir.
Bertrand Lukacs