L'Euro, socle économique de l'Europe
Je n'ai pas pour propos de me substituer aux commentateurs de la presse économique qui se livrent avec compétence à une analyse tout azimut de la crise sans précédent dans laquelle nous sommes entrés.
Je cède simplement à l'envie de publier un message qui porte une dose d'espoir dans le tumulte des oiseaux de mauvais augure qui nous annoncent l'apocalypse.
Je simplifie à dessein les données du problème, en les requalifiant. En commençant par le déficit public. Il tournait autour de 3% du PIB. La référence n'a pas de sens, à l'image de "l'âge du capitaine" (*). Ce déficit est la différence entre les recettes et les dépenses de l'État mais on le rapporte à une grandeur qui lui est étrangère. Si on le rapportait aux recettes on trouverait qu'il est de l'ordre de 25 % ! On le cache pudiquement. Qui imagine une entreprise ou un ménage dont le déficit serait de cet ordre ?
Les mesures qui viennent d'être annoncées vont pourtant le porter à 9 % du PIB. Trois fois plus élevé ! C'est dire que notre déficit, de préoccupant qu'il était, va devenir abyssal.
Un déficit budgétaire souverain se finance par l'emprunt et/ou la planche à billets. A ce propos, il y a des voix qui s'élèvent pour recommander que la dette des Etats pauvres soit effacée. C'est généreux et du point de vue des prêteurs le geste est possible car il est vraisemblable que les créances aient été provisionnée à 100 %. Il ne coûte donc rien aux prêteurs de les passer en pertes et profits. Mais qui va désormais prêter à des Etats vulnérables et incapables d'honorer leurs engagements pour combler des déficits courants et à venir ?
Reste la planche à billets c'est-à-dire l'inflation. Les déboires du Venezuela nous enseignent à quel point elle peut être désastreuse. Par comparaison, la situation de la Grèce qui s'est engagée dans la voie de l'effort et s'est remarquablement redressée, fait figure d'exemple.
Dérive du Mark papier entre 1918 et 1923 (ordonnées logarithmiques) : dépréciation de 100.000 Milliards pour cent !
La France est-elle menacée du spectre de la République de Weimar des années 1920-23 ? Elle le serait si nous avions encore le Franc. Mais nous sommes aujourd'hui dans l'Euro.
La zone Euro a été créée en 1999 par 11 pays. Elle en compte 19 à présent, avec 340 millions d'habitants, pour un PIB total de 11 886 Milliards d'euros, derrière les USA qui affichent 19 000 milliards d'€, mais à égalité avec la Chine et ses 12 000 Milliards d'€ (ordres de grandeur).
Contrairement aux USA qui connaissent un déficit budgétaire permanent et ont impunément recours à la planche à billets grâce au caractère de monnaie de réserve du dollar, la zone Euro est vertueuse. Elle a ses mauvais élèves (dont la France) mais de nombreux pays affichent des excédents budgétaires : l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas, le Luxembourg, Malte et, de façon surprenante, l'Irlande et la Grèce… D'autres pays sont proches de l'équilibre. C'est le cas de la Belgique, de la Finlande et des Pays Baltes.
Forte de son appartenance à un ensemble économique de cette importance, dont les échanges sont globalement équilibrés, la France peut financer par l'emprunt le déficit colossal qui se prépare chez elle. Deux mécanismes sont à sa disposition : l'emprunt direct sur les marchés financiers sur la base de taux de marché et le recours à la Banque Centrale Européenne pour une ligne de crédits mutualisés avec l'ensemble des pays de la zone Euro. Les taux d'intérêt sont alors voisins de zéro.
Il est clair que le second de ces mécanismes nous est le plus favorable. Mais il est tout aussi clair que les pays vertueux, qui ont fait depuis longtemps des efforts pour être à l'équilibre, n'ont pas particulièrement envie de voler au secours de la cigale que nous sommes. Il n'est pas très glorieux non plus pour notre réputation que nous donnions l'image d'une nation qui doit être soutenue par ses pairs. C'est pourtant ce qui est demandé quand les dirigeants français évoquent à ce sujet la solidarité européenne.
Je suis persuadé qu'ils parviendront à obtenir de leurs partenaires, l'Allemagne en tête, des droits de tirage directs auprès de la BCE pour qu'ils évitent la sanction des marchés. Les partenaires diront : "c'est bon pour cette fois car il y a le coronavirus, mais veillez à améliorer votre gestion car la fois prochaine ce sera NON".
La dette de la France, mutualisée avec celles des autres membres de l'Euro, ne sera jamais remboursée mais jamais annulée non plus. Les intérêts seront payés. De ce point de vue, la force de l'Euro lui confèrera un statut comparable à celui du dollar. On ne doit pas s'attendre non plus à des effets inflationnistes sensibles car la situation des économies ne les y prédispose pas et l'Euro est géré par une banque centrale dont l'objectif premier est de prévenir les dérives inflationnistes.
Je disais que ces constatations à propos de la France ne sont pas flatteuses. Je vais prendre sa défense. D'abord nous sommes le plus beau pays du monde, affirmation qui s'appuie sur le nombre record de visiteurs qui viennent chez nous et en particulier à Paris. Il n'est pas injuste qu'en contrepartie du bonheur que nous leur procurons ils contribuent à notre bien-être !
Plus sérieusement, la France est le seul pays de la zone Euro à entretenir une armée importante et un armement de dissuasion nucléaire. Elle est engagée dans des actions militaires extérieures sur des théâtres qui alimentent le terrorisme. Il s'agit de dépenses considérables que nous sommes seuls à assumer et qui contribuent pourtant à la sécurité de nos partenaires. La logique voudrait que ces dépenses soient elles aussi "mutualisées". Notre gestion paraitrait de ce fait moins hasardeuse.
Mettons à profit notre confinement et l'oisiveté qui s'en suit pour échanger sur le sujet à travers la rubrique "commentaires".
Gérard Simonet
(*) Référence à ce problème posé ainsi, de façon inintelligible : étant donné la longueur d'un bateau, sa largeur, son tirant d'eau, son tonnage brut et net, la puissance du moteur et le nombre d'hélices, déterminer l'âge du capitaine.
J'ai oublié de signer : monica
pour le commentaire de l'article de Raphaëlle Bacqué publié dans le Monde de dimanche
merci
mb
Rédigé par : monica baillon | 26 avril 2020 à 18:25
L'article du "Monde" daté de ce dimanche 26 Avril 2020 signé par Raphaëlle Bacqué et Brice Pedroletti:
Dans la jungle des labos de Wuhan: sous-titré : Le coronavirus a-t-il pu s'échapper accidentellement de l'un des centres de recherche de cette ville chinoise, d'où est partie l'épidémie?...
me conforte dans l'hypothèse que je ne trouve pas encore abordée :celle de présenter une demande à la Chine de dommages et intérêts.
Rédigé par : monica baillon | 26 avril 2020 à 18:19
Ce que certains ne veulent pas regarder en face, c'est qu'en cas de sortie de l'€ la France ne trouverait plus à se financer, les centaines de milliards que vont coûter les mesures prises en ce moment ne sont disponibles que parce que la France est financièrement adossée à du solide : l'UE, l'€, l'Allemagne, qui accumule depuis des décennies des excédents commerciaux et les budgets en équilibre.
Seuls avec notre Franc, nous en serions réduits à la planche à billets, faute de financement sur les marchés. Donc très vite à une inflation à la Vénézuélienne, la ruine pour les épargnants, les privations et la misère pour le plus grand nombre. Les griffes du FMI, et la fin du "modèle social" à la française, qui ne peut se financer à grands coups de dettes que parce que nous avons des partenaires aux reins solides, qui travaillent et qui produisent, eux.
Rédigé par : Germain | 20 avril 2020 à 11:17
Merci pour cette analyse fort pertinente
La situation est en effet préoccupante et nous ne sommes pas dans le meilleur état possible pour l’affronter si on se compare à l’Allemagne, cigale vertueuse
Le dernier § (défense) permet tout de même de relativiser la comparaison
J’ajouterai un autre élément : lequel des 2 pays bousille la planète en brulant son charbon à forte teneur en soufre et lequel est vertueux en émissions de CO2 ? (je m’excuse auprès de ceux qui vénèrent les moulins à vent qui ornent les campagnes)
Quant au paradis fiscal qui s’oppose à toute demande de solidarité européenne, arguant de sa vertu, il ne manque pas d’air…. (ce n'est pas l'Allemagne mais il la sert en jouant bien son rôle de paravent)
Rédigé par : Alain Genel | 17 avril 2020 à 13:40
Le scenario décrit est plausible. Il y en a un autre très différent qui se dessine aussi : le repli de l'Allemagne sur elle-même ou sur un groupe de pays partageant ses valeurs (Autriche, Pays Bas, Luxembourg, Finlande, pays baltes…). Elle est en train d'apporter la preuve qu'elle est non seulement un grand pays industriel, une économie avec des excédents mais qu'elle sait s'organiser face à des situations exceptionnelles comme cette épidémie, en obtenant notamment un consensus décentralisé auprès de ses länder avec des résultats sanitaires meilleurs que chez nous. Il peut se constituer chez elle une majorité d'électeurs qui pensent qu'ils ont nul besoin des pays "du club med" tout juste bons à polémiquer et à en découdre sur tout sujet plutôt que s'atteler à un problème et à le résoudre.
Si au bout du compte elle ne réagit pas ainsi nous lui devrons une fière chandelle.
Rédigé par : Marc A-R | 17 avril 2020 à 10:24
Tout à fait d'accord avec vous concernant la performance de nos armées [particulièrement celle de nos forces spéciales, qui j'espère n'aura pas été trop diminuée par le COVID-19], l'importance de notre parapluie nucléaire et de la beauté de notre pays.
Pour le reste suis très loin de partager votre optimisme.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/16/les-divisions-europeennes-renvoient-l-image-d-une-europe-impuissante-depuis-dix-ans_6036780_3232.html
Cette crise révèle une autre ligne de fracture européenne, qui n'est plus une fracture Nord / Sud. Celle entre les pays qui ont bien anticipé les mesures de confinement, et dont le bilan est pour l'instant bien moins tragique:
- Grèce, Portugal, Danemark par exemple
Ceux qui ont pris des mesures trop tardives, qui sont donc gravement affectés:
Royaume Uni, Belgique, Pays Bas
Ceux qui ont pris des mesures assez tôt, mais dans lesquels l'épidémie couvait déjà depuis longtemps. Ils se sont donc retrouvés submergés:
Italie, Espagne
La France se positionne à dans une situation intermédiaire.
L'Allemagne est un cas particulier. Ce pays a mis en place un système de monitoring très élaboré, lui ayant permis de contenir l'épidémie à un niveau assez bas. Ce qui leur a permis d'effectuer un confinement tardif en limitant les dégâts.
Cette crise a remis à jour les réflexes nationalistes, disparus depuis longtemps [frontières, réquisitions des équipements présents sur le sol national].
Les Italiens, qui n'ont pas encore fini de panser leurs plaies, en veulent "à mort", au comportement actuel de l'Allemagne, qualifié "d'égoïste" [principalement au sujet des coronabonds, mais pas seulement].
Cette crise est un danger mortel pour l'Union Européenne, qui va devoir tout faire pour absolument recoller les morceaux, sous peine d'éclatement.Tous les scénarios son possibles. Maintien du statut quo? Eclatement en deux ? Via le retour à une Europe des nations ?
Le retour de l'hyperinflation ne me semble pas [du tout] être un scénario envisageable: je suis tout à fait d'accord avec vous. Aujourd'hui, il y a une crise de la demande, qui, à priori devrait se prolonger un certain temps. Même en cas de monétisation massive de la dette [ou d'autres solutions nous permettant de ne plus subir le fardeau du paiement des intérêts de la dette], il n'y a à mon avis aucun risque de retrouver une inflation à 3 chiffres.
Pour en savoir plus sur la crise en cours, les réponses aux questions, les causes, des solutions envisageables à court terme:
https://chroniquesdunvirus.wordpress.com/
Rédigé par : Fabrice de Rivet | 16 avril 2020 à 17:09
Bravo Gérard pour cet exposé très clair.
Je voudrais aborder un autre point qui est celui de l’efficacité des dépenses. Je pense en effet qu'une des raisons de la plus grande réussite d'autres pays européens tient dans dans des dépenses et des investissements (faut-il d'ailleurs continuer à amalgamer les deux ?) produisant plus et mieux, ceci par une plus grande décentralisation. Certains disent que si l'Allemagne a 4 fois moins de morts que la France pour un nombre de cas avérés très voisin, c'est parce que la santé est du ressort des Länder et pas de l'Etat. (Entre parenthèse j'aimerais lire une comparaison non biaisée sur ce point). Je pense que nous sommes gouvernés par des centralisateurs qui prennent les gens de terrain pour des moins compétents alors qu'ils sont surtout beaucoup plus pragmatiques.
Michel
Rédigé par : Michel Huet | 16 avril 2020 à 12:59
Certes la France est le plus beau pays du monde, mais pour combien de temps encore ?
Notre gouvernement nous annonce 110 milliards d'euros de mesures de soutien à l'économie en expliquant qu'aucun pays européen ne fait un tel effort. Sommes-nous si forts et si malins que ça ? Non, la dette atteindra cette année 115% du PIB et nous sauvons indistinctement canards boîteux et entreprises en parfaite santé.
Cette crise a mis en avant les activités économiques "essentielles". Tout le monde a pu constater que nous n'avons plus d'industries capables de fabriquer des masques, des tests et des respirateurs.
Plus d'industrie, moins de tourisme !
Rédigé par : Gervais | 16 avril 2020 à 10:32
Grâces vous soient rendues pour cet exposé limpide même pour les cancres en économie.
J’ai bien noté qu’en contrepartie du bonheur nos visiteurs seraient d’accord pour contribuer à notre bien être.
L’esprit a le pouvoir de soigner en ces temps plutôt revêches.
Remerciements.
Rédigé par : Lilas | 15 avril 2020 à 18:59
Sur le refus de payer une partie de la dette, ça n'est pas une utopie : le président a dit qu'il le ferait pour bon nombre de pays d’ Afrique. En France l'histoire est remplis de moments où nous nous n'avons pas payé nos dettes et nous nous en somme toujours remis... (Napoléon, De Gaulle...)
Sur l'espoir Européen : l' Allemagne (et la Hollande) ont montré a plusieurs reprises leur obsession en matière de dette. Il ont toujours refusé toutes les mesures de relances (rappelez vous des eurobonds de Hollande) et ils ont littéralement laissé mourir des milliers de Grecs. A votre place, je n'y porterais pas trop d'espoirs...
- Si on veut obtenir quelque chose de cette europe engluée dans le fanatisme ultra libéral, il faudra taper sur la table !
Rédigé par : Thomas Luquet | 15 avril 2020 à 18:59
Merci, Cher Gérard, pour cette analyse claire et abordable par quelqu'un qui n'y connaît rien.
Rédigé par : Evelyne Dress | 15 avril 2020 à 17:13
Oui, bien dit. Mais va-t-on dire que des dépenses inutiles pointent le nez . Les Jeux Olympiques dont le délais va encore enchérir sur les suppléments à payer pour etre dans les clous.
Va t'on enfin dire stop à ces flambeurs et ce gaspillage que sont les JO ?
Rédigé par : tdt | 15 avril 2020 à 16:40