Superbe façade Louis XV, 81 rue du Temple (IIIe), avec baies cintrées, porte cochère et linteau d'origine, saccagée, défigurée par des devantures et des enseignes qui enfreignent les règles du plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) du Marais, centre historique de Paris. Imaginerait-on la galerie des Offices à Florence ou la place Saint Marc à Venise subir de tels dommages. Pourquoi est-ce possible à Paris ?
Nous profitons du début de la campagne des municipales pour interpeler les Maires sortants, tous deux candidats à leur propre succession, et les autres postulants, sur ce dossier qui nous a fait méditer depuis que nous avons lancé, en 2001, notre association de défense du cadre de vie du Marais.
Contrairement aux autres secteurs sauvegardés de France qui font l'objet de soins jaloux de leurs Maires, le Marais est l'enfant mal aimé de la Ville de Paris. Elle ne l'a pas voulu, elle ne l'a pas élevé, elle croit ne pas avoir sur lui d'autorité parentale et rejette sa responsabilité de gestionnaire sur le Ministère de la Culture dont dépendent les Bâtiments de France, qui ne sont en réalité que les garants de la loi.
Il n'est pas trop tard pour agir. C'est ce que nous proposons dans la lettre ouverte ci-dessous, que nous avons remise aux Maires des IIIe et IVe arrondissements pour qu'ils se prononcent sur nos conclusions. Nous demandons aussi à tous ceux qui aspirent à jouer un rôle dans la vie publique des arrondissements en sollicitant nos prochains suffrages, d'exprimer de la même manière leur propre point de vue.
Et nous attendons de nos lecteurs, qui nous ont très souvent exprimé leur contrariété de voir leur quartier maltraité, des témoignages et des commentaires pour que le sujet devienne chez nous un véritable débat.
LETTRE OUVERTE
Madame, Monsieur les Maires,
Notre pays compte actuellement une centaine de sites qui bénéficient du statut privilégié de "secteur sauvegardé". On trouve parmi eux tous les joyaux de notre patrimoine historique et architectural.
Une centaine de villes attendent une décision de l'Etat et des organismes compétents pour accéder à cette distinction.
Vos deux arrondissements, pour l'essentiel de leur superficie, se sont vu attribuer le statut de secteur sauvegardé en 1996. C'est une chance et un honneur. Comment nous en sommes-nous acquittés ?
La municipalité en cueille les fruits. Attirés par un cadre exceptionnel, les acheteurs de logements et les commerces se pressent et alimentent les recettes des droits de mutation et de la taxe professionnelle. Nos quartiers y gagnent en prestige et, le succès appelant le succès, nous nous acheminons vers une hyperactivité, notamment touristique, festive et nocturne, dont il faudrait d'ailleurs veiller qu'elle ne fasse pas fuir pas les habitants traditionnels.
De son côté, notre patrimoine collectif n'y trouve pas son compte. Faute de surveillance, les initiatives qui le dénaturent se multiplient ; faute de détermination, les infractions au plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) de 1996, persitent et se pérennisent. Il est choquant de constater la quantité considérable de commerces qui, par leurs devantures et enseignes non conformes, défigurent le paysage de la rue en donnant aux visiteurs du monde une image peu flatteuse de la gestion des municipalités.
Il suffirait de peu pour que tout change. La prescription de trois ans sur les travaux a pesé lourd dans l'immobilisme des pouvoirs publics envers les contrevenants, mais elle a une faille : dès qu'un bail est cédé et que l'enseigne change, le nouveau propriétaire doit faire des travaux et les déclarer à la Direction de l'Urbanisme. L'Architecte des Bâtiments de France est alors saisi pour avis conforme.
Dans l'état actuel des choses, la plupart des travaux n'étant pas déclarés, cette fenêtre de tir n'est pas exploitée car les contrôles sur le terrain sont insuffisants. Aucune de vos deux mairies n'a été en mesure jusqu'à présent d'affecter une personne à plein temps à cette tâche. Les documents que vous éditez ne font que rarement état du PSMV. Les fonctionnaires de Morland (*) sont peu mobiles, le SDAP (service départemental de l'architecture et du patrimoine)(**) est excentré dans le VIe et manque notoirement d'effectifs.
Notre association s'est impliquée dans un rôle qui lui a semblé découler de sa vocation, repérer les travaux sans panneau d'information, les changements de bail, intervenir auprès des commerçants pour les informer et parfois les convaincre, et transmettre les informations à la Mairie de Paris et au SDAP. Nous avons eu des résultats, au point que nous sommes aujourd'hui convaincus qu'il est possible d'obtenir une amélioration visible si la Mairie de Paris nous écoute.
Nous préconisons que chacune des mairies d'arrondissement (IIIe et IVe) se dote d'une personne qualifiée affectée à plein temps à la surveillance de ce qui se passe dans nos quartiers en matière d'urbanisme, au dialogue avec les commerçants et les particuliers (qui sont aussi concernés pour leurs propres travaux) et à l'information des services de l'Urbanisme et des Bâtiments de France. La Mairie de Paris emploie 45.000 personnes (plus que la Commission de Bruxelles). Qu'on ne nous dise pas qu'il n'est pas possible de financer ces deux emplois !
A la veille des élections municipales, c'est aux Maires que nous adressons cette demande mais en même temps aux candidats à la prochaine mandature. Leur réponse aura tout son poids dans l'opinion des habitants. Nous nous en ferons largement l'écho.
Je vous adresse, Madame, Monsieur les Maires, etc .....
Gérard Simonet
Président
Vivre le Marais !
NB : (*) la direction de l'urbanisme de Paris est installée au 17 bd Morland
(**) les Architectes des Bâtiments de France sont rattachés au SDAP