Nous sommes ici dans les combles, sous la charpente, de l'Hôtel du "Docteur MISSA", du nom de celui qui en fit l'acquisition en 1774.
Situé au 12 de l'actuelle rue Barbette (IIIe), les origines de ce bâtiment se perdent dans la nuit des temps. L'examen de ses caves voûtées incite à penser qu'elles constituaient en partie les soubassements de l'ancien Hôtel Barbette, qui occupait à la fin du XIVe siècle l'essentiel de l'espace compris de nos jours entre les rues des Francs-Bourgeois, Vieille du Temple, de la Perle et Elzévir.
Le promoteur de l'opération, la société "Lions Saint Paul Rénovation", nous apprend que ce chantier a pour objet la transformation de locaux commerciaux (ex. vêtements WEIL) en logements, la restauration des façades, des lucarnes et de la toiture, dont les liaisons verticales sont modifiées pour s'aligner sur l'architecture ambiante, l'aménagement des combles avec mise en valeur des pièces maîtresses de la charpente.
Cette visite nous a donné envie de faire un long voyage dans le temps.
A la fin du XIVe siècle, la rue Barbette que nous connaissons n'existait pas encore. Le nom des Barbette, en revanche, bénéficiait d'une certaine renommée. Ses origines remontent à 1030, et dès le XIIe siècle, cette famille était l'une des plus riches de Paris.
Elle possédait au XIIIe siècle une "propriété" constituée de bâtiments et d'une "courtille", ensemble de jardins et de cultures, tout près des murs de Paris, dans cette campagne un peu marécageuse qui allait devenir "le Marais". Ce patrimoine, associé à d'autres biens dans Paris intra-muros, valut à la famille de donner son nom à l'actuelle rue Vieille du Temple et à une poterne qui offrait un passage à travers la muraille Philippe Auguste, qui protégeait Paris. On pénétrait donc dans Paris par la "Porte Barbette".
La rue des Francs-Bourgeois s'appelait à l'époque "rue des Poulies". Elle longeait la muraille par le nord et était jalonnée d'ateliers, appelés "poulies", spécialisés dans la fabrication de tissus. Pour les produire en rames de plusieurs dizaines de mètres, ils devaient disposer d'espace et on imagine que la manipulation de ces longues bandes de tissus mettait en oeuvre des câbles, guidés par des poulies.
Les autres frontières du quadrilatère étaient constituées par des chemins le long des "Coutures" (comprenez "cultures") Sainte Catherine", au nord et à l'est.
Cette industrie, associée aux cultures environnantes, firent probablement la richesse de leurs exploitants et progressivement les ateliers cédèrent la place à des demeures de plus en plus somptueuses, au point que la Reine de France, Isabeau de Bavière, épouse du Roi Charles VI (dit le fou), fit l'acquisition en 1401 de la plus prestigieuse de toutes, l'Hôtel Barbette, auprès de Jean de Montagu, surintendant des finances du Roi. Elle en fit sa résidence secondaire, pour s'éloigner de son époux, qui souffrait de démence, et vivre en toute discrétion sa passion coupable pour son beau-frère le Duc d'Orléans.
On sait ce qui se passa en 1407, dans cette ruelle que les arbalétriers de la Reine empruntaient régulièrement pour aller s'exercer au tir le long de la muraille Philippe-Auguste. Le Duc d'Orléans fut assassiné par un groupe de 18 spadassins à la solde de son cousin le Duc de Bourgogne, dit Jean-sans-Peur. La Reine, pour qui le Duc d'Orléans "eut cette essoine", ne s'en remit pas et s'empressa de vendre sa demeure, après avoir prudemment rejoint ses foyers de l'Hôtel Saint Paul et son roi de mari.Jean-sans-Peur sut habilement convaincre la Cour et son entourage que cette exécution était justifiée car les idées religieuses de son cousin étaient dangereusement réformistes. A l'issue d'une campagne contre les Liégeois, en Flandre, il revint à Paris, fit fuir le roi et la reine, et devint maître de la capitale.
Quant à l'Hôtel Barbette, il échut à Jean VI, Duc de Bretagne. On ne va pas en faire l'histoire ici : ceux qui s'intéressent au détail des vicissitudes de cette demeure pourront se reporter à l'excellent ouvrage de Charles Sellier "Le Quartier Barbette" (1899). Il est utile pourtant de souligner, au titre de ses lettres de noblesse, qu'il devint la propriété de Diane de Poitiers, épouse du Comte Louis de Brézé, et maîtresse de Henri II, fils de Francois 1er.A sa mort, ses héritières procédèrent à la vente de la propriété par lots. Nous sommes en 1563, c'est la fin de "l'Hôtel Barbette" et la date de création de la rue Barbette telle que nous la connaîssons, qui perpétue le souvenir de cette lignée prestigieuse.
Qu'en est-il aujourd'hui de ce quartier ? l'impasse des Arbalétriers appartient à la copropriété du 56-58 rue Vieille du Temple, comme en atteste un document émanant de la Mairie de Paris. Sa façade, défigurée par les graffiti, attend toujours d'être ravalée, au contraire, heureusement, de celle qui lui fait face, propriété du 34 rue des Francs-Bourgeois, qui a su mettre en valeur son caractère moyenâgeux. Les hangars LISSAC et du Centre Culturel Suisse ( revoir votre article du 17 janvier 2008) attendent que la Ville s'en occupe pour en faire des jardins conformément aux prescriptions du PSMV (plan de sauvegarde et de mise en valeur) du Marais. La reconstitution des cheminements d'origine est prévue et avec elle la perspective d'organiser des parcours historiques qui donneraient à ce secteur du IIIe arrondissement un attrait exceptionnel .
Faire revivre cette histoire très riche est un projet ambitieux qui devrait mobiliser ceux qui ont le pouvoir de le conduire. Bertrand Delanoë, qui nous a assurés de son attachement pour le centre historique de Paris, les Maires d'arrondissements et au premier chef Pierre Aidenbaum qui en est le dépositaire, la Direction Régionale des Affaires Culturelles, le Service Départemental de l'Architecture et du Patrimoine (dont dépendent les Architectes des Bâtiments de France). Mais aussi les habitants, leurs associations, les conseils de quartiers, les commerçants. Nous devons tous oeuvrer pour que cette ambition se concrétise.