Près des rivages de la politique, vivent des créatures enchanteresses qui essaient de charmer, de leur voix mélodieuse, les candidats aux régionales. Ce sont des sirènes, des femmes-poissons. Attention : elles ont le pouvoir d'envoûter pour entraîner à leur perte ceux qu'elles auront séduits.
Depuis des mois, les médias se font l'écho des plaintes des professionnels de la nuit au cri de "Paris se meurt, Paris s'endort, Paris n'est plus une capitale de la fête et de la nuit comme le sont Berlin ou Barcelone....."
Nous sommes persuadés du contraire : Paris est la ville la plus visitée du monde. Les 29 à 35 millions (suivant les sources) de personnes qui s'y pressent chaque année se répartissent statistiquement vers toutes les activités de la ville : hôtels, bars, restaurants, cinémas, théâtres, spectacles, discothèques, boites de nuit ...).
Nous le rappelons, notre association d'habitants du Marais et toutes celles qui participent au réseau "Vivre Paris !" sommes tout à fait favorables à l'existence d'une vie nocturne qui, d'ailleurs, ne fait pas défaut à Paris. Nous demandons simplement qu'elle respecte les lois et règlements qui en régissent l'exercice dans deux domaines essentiels : le bruit et l'occupation de l'espace public.
Les professionnels de la nuit et des débits de boissons ont cherché, dans la perspective des élections régionales, à obtenir des têtes de listes des engagements au bénéfice de leurs affaires. Nous avions annoncé que nous en rendrions compte à la veille du premier tour pour que vous puissiez juger l'importance que ces personnalités accordent à leurs électeurs qui, dans l'Île de France, considèrent à 71% le bruit comme la nuisance environnementale numéro 1 (Bruitparif).
Face aux exigences, qui sont : levées des contraintes horaires sur la fermeture des bars le soir, modification du règlement des terrasses, révision du décret de 2006 qui limite le bruit des établissements diffusant de la musique la nuit, tolérance des policiers devant les infractions, suppression de la fermeture administrative et financement des travaux d'insonorisation, voici comment ils ont réagi.
Jean-Paul Huchon est ouvert au financement par la région des aménagements visant à insonoriser les salles. Il se propose également de faire fonctionner le RER toute la nuit du samedi soir pour que les échanges Paris-Banlieue soient plus aisés.
Ian Brossat, président du groupe communiste à la Mairie de Paris, chargé d'organiser les "états généraux de la nuit", a reçu "Vivre Paris !" et a prêté peu de cas à nos arguments. Selon lui, les quartiers de Paris qui disent souffrir d'un excès d'activité festive sont en réalité des privilégiés puisque le prix du logement y est plus élevé qu'ailleurs. CQFD.
Valérie Pécresse est d'accord aussi pour que la région finance l'insonorisation des salles bruyantes. Chantal Jouanno ajoute quant à elle qu'il faut affecter à "la fête" un domaine réservé et suggère que ce soit le Marais, plus précisément les quais de Seine.
Vincent Roger, élu UMP de Paris dans le IVe, est plus réservé mais pense qu'il faut effectivement trouver un secteur où les gens soient plus libres de festoyer. Que les exploitants bénéficient d'une aide financière de la région ne le gène pas.
Christophe Girard, élu PS de Paris dans le IVe, Adjoint au Maire de Paris pour la Culture, se dit scandalisé par les prétentions des professionnels de la nuit et parle de "cabale". Pour lui, cette campagne est faite pour masquer le manque de créativité, d'inventivité de ceux qui se plaignent. Il rejette leurs demandes et affirme que le Maire de Paris n'a jamais dit qu'il les soutiendrait.
Dominique Bertinotti, Maire PS du IVe, tient "au mélange, dans le Marais comme ailleurs, des acteurs de la vie urbaine, habitants, commerces, entreprises, touristes. Elle n'est pas opposée au financement de salles publiques polyvalentes qui peuvent abriter des fêtes ou des spectacles mais ne voit aucune justification à ce que la région apporte son concours financier à des exploitants privés". Elle pourrait tirer profit de la déclaration de Mme Jouanno, qui va laisser perplexes les habitants du Marais et de Paris, car elle revient à créer un parc d'attractions, un Disneyland, un ghetto festif, incompatible avec la présence d'habitants.
Corine Faugeron, élue à la mairie du IVe, au nom des "Verts" -Europe Ecologie- plaide contre une densité d'habitants excessive et pour une dilution des lieux générateurs de bruit. L'heure normale de fermeture des bars - 02h00 du matin - lui paraît trop tardive. Elle rêve d'une salle des fêtes dans un lieu prestigieux, gérée et aménagée par la Ville et pourquoi pas l'hôtel de Coulanges, 1bis place des Vosges, occupé actuellement par les squatters de "Jeudi Noir". Elle précise en revanche au sujet des exploitants privés : "on n'est pas là pour servir la soupe aux bars".
Nous rapportons ce que nous avons lu ou entendu. Nos colonnes sont ouvertes à ceux qui voudraient y apporter des clarifications. A M. Pierre Aidenbaum, par exemple, à qui nous le disions hier et avec qui nous n'avons pas pu discuter sur le fond. L'existence d'un deuxième tour nous laisse le temps pour cela.
Pour que se rompe l'envoûtement de ceux qui auraient pu succomber aux sirènes.
(Illustration Edmond Dulac, la petite Sirène)
P.S. # 1 du 12 mars 2010 : Vincent Roger, élu de Paris du IVe, nous adresse une réponse en commentaire. Nous vous invitons à la lire attentivement et le remercions pour les précisions et clarifications qu'elle comporte.
P.S. # 2 du 12 mars 2010 : Thiéry Coudert, vice-président du groupe UMP à la Mairie de Paris nous informe d'un voeu présenté en conseil de Paris en décembre pour la création aux Batignoles d'un espace culturel et festif, Voeu thiéry coudert, voeu qui a été rejeté par la majorité. Nous sommes heureux qu'il y ait eu des velléités de protéger les riverains, mais nous aurions préféré que les attendus ne reprennent pas un argumentaire des industriels de la nuit (Paris se meurt, etc ...) qui ne reflète pas la réalité. Nous remercions Thiérry Coudert pour son intervention.
P.S. # 3 du 18 mars : Dominique Bertinotti, Maire du IVe, nous demande de préciser que les propos que nous lui prêtons n'engagent que nous.
Une fois encore, serait-il possible de savoir dans quelle arrondissement / quartier Madame Chantal Jouanno réside ? Je propose que cette dernière mette en œuvre sa suggestion de "Domaine réservé à la Fête" directement dans son propre quartier. Ainsi pourra-t-elle tester 'en direct' l'effet de ses propositions et également rendre pls facilement compte de ses initiatives à ses voisins ? Car ce serait un peu trop facile de proposer ce genre d'idées farfelues mais de vouloir les appliquer chez les autres... N'est ce pas ?
Rédigé par : Catherine | 12 mars 2010 à 16:17
Je suis assez surpris de l'interprétation de ma pensée dans votre article. Je le suis d'autant plus que je crois depuis que je suis élu avoir été assez attentif à votre association. Je pense notamment à la composition de la commission ad hoc liée au plan de Sauvegarde du Marais ou dernièrement à la lutte contre l'ouverture d'une boite de nuit dans le quartier Saint-Merri. J'ai dit effectivement qu'il fallait faire de la lutte contre le bruit une priorité régionale pour des raisons de sécurité, de lutte contre le stress et de santé publique. Au passage pour votre information le Président sortant de la région a diminué de 50% les crédits alloués à la lutte contre le bruit. Je vous ai rappelé, mardi dernier, comme je le dis depuis toujours que le devoir de l'élu c'est de garantir l'intérêt général en assurant sur ce sujet le droit au repos et à la tranquillité pour tous tout en permettant le droit à la fête dans le respect de la loi. C'est pourquoi si je ne suis pas le défenseur des boites de nuit, je considère qu'il est démagogique de dire que l'on ne peut avoir de ville sans ce type d'établissements. Je préfère donc que ceux qui sont ouverts dans le respect de la loi soient encouragés à renforcer leur système d'insonorisation. Enfin si vous me le permettez, il me semble que l'enjeu des régionales dépasse ce sujet même si comme vous il me préoccupe. Je me permets de rappeler que la région doit être une entité pour investir. Investir pour nos lycées, investir pour la formation de nos jeunes, investir pour avoir des transports sécurisés, confortables et ponctuels. Alors qu'en 2005 la part de l'investissement dans le budget régional était de 57%, elle est en 2009 de 43%. Sur toutes ses compétences, la région n'investit plus assez malgré une augmentation des impôts de 46%. Et pendant ce temps là les charges locatives de la région ont augmenté de 125%, les frais de réception ont été multiplié par 3,la dette régionale a augmenté de 37%,les frais de fonctionnement explosent, le nombre d'agents a été multiplié par 2 alors que les régions doivent être selon l'esprit des lois Deffere de 1983 des administrations de mission et non de gestion. Restant à votre écoute. Très cordialement. Vincent Roger (conseiller de Paris, élu du 4ème)
Rédigé par : Vincent Roger | 11 mars 2010 à 22:27
On se demande comment des professionnels de la politique peuvent tomber ainsi dans le panneau tendu par un lobby. Aller dans le sens de ses électeurs et ne pas en tout cas les prendre à rebrousse poil parait élémentaire.
Ils ont le temps comme vous dites de redresser le tir. On va voir s'ils le font et comment.
Jennifer
Rédigé par : jennifer | 11 mars 2010 à 21:30
Je suis tout à fait de l'avis de Christophe Girard.
La vraie question pour Paris est de tenir son rang de capitale de la créativité littéraire et artistique. Elle en a eu le leadership dans la 1ere moitié du 20è siècle. Aujourd'hui, les intellectuels et les artistes sont aussi ailleurs, à Berlin, à Londres... Il faut donc rester en éveil. Mais l'offensive des industriels de la nuit est la plus mauvaise réponse qui soit à une vraie question.
Leur agitation m'a donné envie de relire ce qu'écrivait Hemingway dans son livre " Paris est une fête" ou encore ce qu'écrivait dans "passage de l'Odeon" la libraire Sylvia Beach.
"Metropole internationale constituée de villages, Paris offre la liberté anonyme des grandes cités et l'intimité des vies de quartier. cette "élasticité" de la ville convient tout naturellement aux artistes et aux écrivains, soucieux de participer à la vie intellectuelle comme de préserver le calme nécessaire à l'activité créatrice".
Mais il est vrai que les rois du bling bling de la nuit seront aussi peu concernés par ce type de réflexion qu'ils le sont par l'épanouissement des habitants de Paris.
Rédigé par : geneviève dupoux verneuil | 11 mars 2010 à 18:02
Panorama effectivement très intéressant, quand on sait que la pollution sonore vient en premier dans toutes critiques sur la vie en ville. Et encore, on ne prend pas en compte le bruit, parfois assourdissant, causé par les fêtards dans leur habitation privée, qui ne se soucient guère des dommages aux voisins. Ceux-ci n'ont d'autre recours que de faire une main courante ou de déposer plainte au commissariat, qui intervient sur appel téléphonique, mais qui a, dans une nation civilisée, mieux à faire. Michel Baillon
Rédigé par : michel b | 11 mars 2010 à 17:43
Consternant. Les mêmes osent ensuite s'interroger sur le niveau record d'abstention...
Qui osera un jour faire de la politique d'une autre manière ?
Rédigé par : catherine | 11 mars 2010 à 16:36