La Place de France, gravure d'après Châtillon, musée Carnavalet
Plan du Haut-Marais, aujourd'hui (IIIe). (orienté nord à droite)
Ces deux illustrations se superposent exactement. Au carrefour des rues de Turenne et Vieille du Temple, correspond le centre du demi-cercle sur lequel s'organisait le projet d'une "place de France". La porte monumentale est en retrait, d'une distance qui équivaut approximativement à la hauteur du trapèze des rues de Turenne, St Claude, et des Filles du Calvaire.
Revenons en 1608. Henry IV, le roi bâtisseur, avec l'aide de son ministre Sully, s'est déjà illustré avec la place Dauphine, le Pont-Neuf, d'une facture originale pour l'époque, en pierres (et pas en bois), sans aucune maison sur ses flancs, et la place Royale, devenue depuis place des Vosges.
Il forme alors le projet d'étendre la capitale au nord-est et d'en assurer le peuplement en urbanisant les marais et jardins qui s'étendent devant l'enclos du Temple. Ce sera la place de France. Elle s'appuyait sur une muraille qui suivait à l'est le tracé des remparts (boulevard des Filles du Calvaire) et s'ouvrait par une porte monumentale sur le centre d'un éventail formé par les rues de Normandie, de Bretagne, de Poitou et Vieille du Temple. Ces radiales croisaient une voie en arc de cercle dont on a gardé le principe pour dessiner la rue Debelleyme.
Le diamètre de la place était de 156 mètres. Les pavillons en bordure, en pierres et briques, percés d'arcades, comme la place des Vosges, auraient hébergé une haute juridiction. Les artères qui rayonnaient devaient porter des noms de provinces françaises. On les retrouve aujourd'hui ; elles gardent en mémoire le souvenir d'un projet prestigieux.
Il n'eut pas la chance de voir le jour. Le 14 mai 1610, Henry IV était assassiné par François Ravaillac, rue de la Ferronnerie (1er), sur fond de passion religieuse. Le Duc d'Epernon, qui accompagnait le roi, l'amène à l'hôtel de Retz, 9 rue Charlot (IIIe), pour lui éviter le lynchage. Il est exécuté en place de Grève le 27 mai, au terme d'un supplice dont la cruauté dépasse de très loin la gravité de son geste.
Sully tomba en disgrâce et la régente, Marie de Médicis, n'eut pas le cran de donner suite. Le tracé de certaines rues avait pourtant été entrepris déjà. Elles furent conservées et formèrent un premier lotissement, bientôt complété par un autre au tracé orthogonal qui forma les rues Charlot, de Saintonge, du Perche et Pastourelle.
Le Haut-Marais est riche en souvenirs et en occasions manquées. Il aurait pu conserver le Temple, à tout le moins son donjon si Napoléon avait été moins pusillanime ; il possèderait une merveilleuse place en éventail pas loin de la place des Vosges et dans le même style. Entre les deux, la rue de Turenne, une promenade merveilleuse que les badauds et le commerce de luxe se seraient accaparée ... Mais voilà : il y eut Ravaillac.
L'assassinat de Henry IV par Ravaillac, huile sur toile de Charles-Gustave Housez, musée de Pau
Bibl. "Le Marais" de Danielle Chadych, Parigramme ; "Paris Patrimoine n° 2", dossier de Rémi Koltirine