108 rue Vieille du Temple (IIIe) : cette façade haussmannienne cossue cache un différend sérieux entre deux populations.
Il ne s'agit pas de communautés montées l'une contre l'autre mais de deux catégories d'habitants qui découlent d'une évolution différenciée de leur logement.
Point de départ : 2004, tout le monde est locataire. A des conditions considérées comme favorables. Les propriétaires de l'immeuble, une indivision, le cèdent à un groupe financier à capitaux américains qui procède à une "vente à la découpe". La loi "Aurillac", qui accorde des droits aux locataires victimes de ces ventes, ne sera votée qu'en 2006.
Les résidents sont décrits comme faisant partie des classes moyennes, mais leurs réactions diffèrent. Certains d'entre eux saisissent l'offre qui leur est faite. Les appartements libres sont achetés par de nouveaux arrivants. A 8.000 €/m², après rénovation, ils considèrent que "c'est le prix".
Treize autres, dont les baux ont été reconduits pour six ans, créent en 2005 un "comité de locataires" qui cherche et obtient le soutien d'une association de défense, et de la mairie. Ils ont comme modèle la résidence des Arquebusiers où un immeuble entier a été acquis il y a quelques années par la Ville pour y loger ceux qui s'étaient mobilisés.
Courant 2008, la Mairie de Paris, à travers le bailleur social social RIVP (régie immobilière de la ville de Paris, dont le président n'est autre que P. Aidenbaum), traite avec le vendeur sur la base de 4.000 €/m² et obtient son accord pour que les membres du comité puissent individuellement, s'ils le souhaitent, acquérir leur logement au prix de 5.000 €/m². Deux locataires profitent de l'aubaine et deviennent propriétaires. L'un d'eux, peu de temps après son passage chez le notaire, décide de revendre son bien en faisant la culbute à près de 10.000 €/m². Opportuniste ordinaire .... ou spéculateur ?
Une part importante des lots est occupée par des galeries d'art, comme la galerie Lambert. L'acquisition, pour elles, ne pose pas de problème pas plus qu'au promoteur qui conserve trois appartements et la "latitude" accordée par le Maire de les vendre.
Si on s'en tient à ce descriptif, il semble que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Ce n'est qu'apparent. La réalité est tout autre : les nouveaux propriétaires attaquent la RIVP et la Mairie de Paris devant le Tribunal Administratif. Ils demandent l'annulation par le tribunal de la vente à la RIVP et accusent la Mairie de Paris d'immixtion et d'influence dans les transactions qui se sont déroulées.
Ils mettent en avant le préjudice qu'ils subissent du fait du traitement discriminatoire entre les deux vagues d'acheteurs et le caractère choquant de la spéculation à laquelle s'est livrée l'un des bénéficiaires, en doublant son capital en six mois. Ils craignent les conséquences néfastes, sur la valeur de leur bien, d'un changement de destination de l'immeuble et dénoncent le risque que la Ville cherche à étendre son emprise de façon arbitraire en préemptant des futures ventes individuelles, au mépris de l'intérêt et de la liberté d'agir de chacun.
Il appartient à la justice de trancher ce litige. Il faudra démontrer que le Maire n'était pas dans son rôle en obtenant la modération à l'égard de la RIVP et des nouveaux acheteurs, et que le vendeur n'a pas agi de son plein gré. Va-t-on ressortir à l'occasion la parabole de l'ouvrier de la 11ème heure ? Y a-t-il fondement d'accuser la mairie de décisions qu'elle n'a pas encore prises ? Ce qu'on peut prévoir en tout cas et à coup sûr, c'est que les deux communautés auront du mal à cohabiter.
Nous l'avons souligné au cours de la réunion le 25 mai 2010 de la CLSS (commission locale du secteur sauvegardé) du Marais, l'acquisition par la Ville de Paris de logements à l'occasion d'une rénovation, sauf s'il s'agit de la totalité de l'immeuble, et a fortiori dans le "diffus" (appartements isolés) est une opération délicate car elle contient en germe des risques de conflits. Cette affaire en est l'illustration.
Il ne s'agit pas d'une fatalité toutefois puisque, au moins jusqu'à présent, la situation a été bien gérée dans des résidences comme les îlots Charlot-Pastourelle, Temple-Pastourelle et une autre au moins qui se dessine dans le IVe (on en parlera plus tard), mais l'exemple présent montre qu'un déficit d'écoute, de concertation et, in fine, de conciliation, peut conduire tête la première à un échec.
Gérard Simonet