Les algecos du musée Picasso, rue Vieille du Temple (IIIe)
Depuis quatre ans, les habitants vivant à proximité du square Léonor-Fini (IIIe) et du musée Picasso endurent un cauchemar qui va crescendo : bruit permanent du chantier, boue dans les rues avoisinantes, poussière qui rend vain le nettoyage des vitres et s’insinue dans les logements depuis plusieurs mois, coups de klaxon des engins de chantier et des grues auxquels s’ajoutent ceux des véhicules bloqués par les manœuvres des camions, valse des rats sur le chantier et dans le square que l’on peut observer de nos fenêtres, pollution des moteurs et de la poussière dont on espère seulement qu’elle ne contient pas trop d’amiante (l’argument selon lequel toutes les précautions sont prises sur un chantier public de ce genre ne me convainc absolument pas, car il néglige le fait que l’Etat a été le principal responsable du scandale de l’amiante depuis les années 1960 !), suppression d’une vingtaine de places de stationnement résidentiel s’ajoutant à celles que la prolifération des parkings (gratuits) de deux roues a fait disparaître ces dernières années, etc.
Naïvement, nous croyions que le pire était passé avec la fin des travaux d’excavation de l’aile technique, en face du 97 de la rue Vieille-du-Temple. Mais nous dûmes déchanter. Un algeco de deux étages a été érigé dans la semaine du 3 février, sans naturellement qu’à aucun moment nous ayons été consultés ni même informés.
Comme ses fenêtres donnent sur la rue (et non sur le jardin, comme il eût été possible) et que nombre d’appartements, sans vis-à-vis, sont dépourvus de rideaux ou de stores, nous vivons maintenant dans l’intimité d’une centaine d’ouvriers qui se déshabillent sous nos yeux, et sous les yeux desquels nous prenons notre petit-déjeuner, déjeunons et tentons tant que bien que mal de conserver une existence normale pendant qu’ils téléphonent pendant les pauses en balayant de leur regard nos appartements ou quand ils entrent et sortent de leurs vestiaires.
Il faut préciser que l’algeco a été monté sur le trottoir et sur les places de stationnement et qu’il se situe donc à un jet de pierre de notre immeuble. En outre, il contraint les piétons à marcher sur une chaussée singulièrement rétrécie, aucune indication ne les avertissant de traverser, aucun passage n’ayant été aménagé, et le trottoir des numéros impairs étant déjà rendu impraticable, du fait de son étroitesse, par la terrasse de la pizzeria Pink Flamingos au 105, les coffres des deux roues qui dépassent des deux parkings qui leur ont été réservés malgré l’opposition du voisinage et qui mordent sur le passage public, le stand extérieur du fleuriste au 95 et l’attroupement des étudiants qui fument devant le 93. Accident programmé, et ce d’autant plus qu’aucun panneau ne demande aux automobilistes de ralentir. Le récent article de Dominique Fleutry sur la question trouve là une confirmation caricaturale.
Or, ce cauchemar est loin d’être fini. Le quotidien Libération révélait, dans son édition du 17 janvier, que le chantier avait pris un retard considérable et que le ministère de la Culture avait convoqué la présidente du musée Picasso, Anne Baldassari, très contestée en interne du fait de son « management brutal », par une lettre particulièrement sévère, pour qu’elle s’explique sur ses « engagements non tenus » et l’absence de toute « visibilité à quelques mois de l’ouverture »[1].
La lettre mérite d’être lue attentivement car l’on y découvre que ce projet, dont le budget initial de 30 millions d’euros a été largement dépassé et s’élève désormais à 53 millions, couverts à 40% par l’Etat, est piloté dans la plus grande improvisation : le ministère de tutelle attendait toujours, début janvier, le « projet scientifique et culturel » de l’établissement et les plans d’accrochage, de médiation, de communication et, « de manière plus générale, du fonctionnement du musée » !
Le même pilotage à vue semble avoir présidé à la conduite du chantier, et l’autorité de tutelle s’inquiétait des travaux dus à des aménagements de dernière minute en dehors de toute autorisation administrative, en dépit de l’opposition d’une partie de l’équipe directoriale et du personnel, dont certains membres, se plaignant d’un « mode de communication agressif, de menaces, d’intimidation et d’humiliations publiques », ont obtenu l’ouverture, par la direction médicale du ministère, d’une procédure d’alerte. Dans ces conditions, il est bien improbable que le musée rouvre le 21 juin, ainsi que persiste à le dire Anne Baldassari[2].
Pour des raisons de sécurité, deux mois sont nécessaires entre le moment de la fin des travaux et l’accueil du public. Il n’est point besoin d’être ingénieur en BTP pour deviner que le chantier sera loin d’être achevé le 21 avril, foi d’un résident qui vit à son rythme depuis quatre ans !
Mais le plus grave est à venir. Comme je l’avais déploré dans un article antérieur[3], l’extension du musée Picasso, conçue selon une logique marchande du chiffre, va attirer de 800 000 à un million de visiteurs dans un quartier où la circulation tant automobile que piétonne est déjà devenue infernale. Fait nouveau, nous apprenons aujourd’hui que ce projet est un bateau ivre et que les autorités de tutelle, aussi bien ministérielles que municipales, n’ont pas assumé convenablement leurs responsabilités.
Le risque est grand de voir le musée Picasso exercer une espèce de suzeraineté sur le quartier, comme il a commencé à le faire en conduisant ce chantier dans le plus grand mépris de ses habitants. Je suggère donc que notre association demande au maire sortant, et aux autres candidats, des réponses écrites précises aux questions suivantes :
1) Quelles vont être les conditions d’accès et de stationnement des dizaines d’autocars qui amèneront au Musée les scolaires chaque matin, à hauteur de 45 000 par an ? N’est-il pas plus raisonnable d’interdire la circulation de ces véhicules inadaptés au quartier et d’apprendre à marcher à nos chères têtes blondes ? Quid des autocars de tourisme, à propos desquels on ne peut se contenter des affirmations lénifiantes d’Anne Baldassari, selon qui « nos visiteurs viennent à pied » ?
2) Quelles seront les mesures visant à restaurer la liberté de circulation des piétons sur les trottoirs, de jour et de nuit, que mettent en cause depuis maintenant plusieurs années une bonne partie des établissements de restauration voisins, à commencer par La Perle, le Saint-Gervais et le Pink Flamingos ?
3) Dans quelles rues seront aménagées des places de stationnement résidentiel en substitution de celles qui ont été supprimées ces dernières années, notamment rue des Coutures-Saint-Gervais et rue Vieille-du-Temple, étant entendu que tous les habitants du quartier n’ont pas les moyens d’acheter ou de louer un parking privatif.
Il est à craindre que beaucoup d’autres problèmes apparaîtront lorsque le musée Picasso rouvrira enfin ses portes. Mais voilà quelques questions concrètes dont les réponses qui leur seront apportées devraient permettre aux électeurs de déposer leur bulletin de vote en connaissance de cause les 23 et 30 mars…
Jean-François Leguil-Bayart
Directeur de recherches au CNRS
[1] http://next.liberation.fr/arts/2014/01/16/du-rififi-a-picasso_973393 La convocation a été annulée in extremis, le musée Picasso ayant remis entre-temps les pièces demandées.
[2] Voir son droit de réponse à l’article de Libération : http://www.liberation.fr/culture/2014/01/26/droit-de-reponse-d-anne-baldassari_975661, et http://next.liberation.fr/next/2014/01/17/recadree-la-directrice-du-musee-picasso-calme-le-jeu_973785