Les clients du "Supreme", 20 rue Barbette (IIIe), dont la file débute rue des Quatre-Fils et alimente la boutique en mode "batch-processing" (par paquets) (Photo JF-LB)
Dans une lettre ouverte du 16 décembre 2016 adressée au Préfet de police de Paris, à la Maire de Paris et au Maire du IIIe arrondissement, Jean-François Leguil-Bayart (*) dénonce les pratiques commerciales de "Supreme" et de "Urban Decay" qui lui a récemment emboité le pas (notre article du 10 décembre).
(*) J.F. Leguil-Bayart est professeur au Graduate Institute (Genève), directeur de la chaire d’études africaines de l’université Mohamed VI (Rabat), président du fonds d’analyse des sociétés politiques, chercheur associé au CERI-SciencesPo (Paris) et journaliste à Médiapart.
Nous reproduisons son courrier R/AR, qu'il nous a demandé de publier :
Monsieur le Préfet de Police,
Madame la Maire de Paris,
Monsieur le Maire d’Arrondissement,
Je vous mets en demeure, par la présente, à la fois comme particulier résident et comme président du syndicat des copropriétaires de l’immeuble du 97 de la rue Vieille-du-Temple, de faire cesser les atteintes à la tranquillité, à la sécurité et à l’ordre publics dont le magasin Supreme, sis au 20 de la rue Barbette, se rend coupable depuis son ouverture, le 10 mars.
Ce dernier informe sa clientèle de ses arrivages et, selon toute vraisemblance, au vu des événements du vendredi 9 décembre, accorde des créneaux horaires à ses consommateurs sur Internet. Jusque là, rien de répréhensible, naturellement. Mais Supreme organise ensuite l’occupation des trottoirs, bien au-delà de son pas de porte. Des vigiles d’un service privé de sécurité constituent une première queue rue des Quatre-fils, le long des Archives, et envoient au magasin des contingents de consommateurs vers d’autres queues d’attente, situées rue Elzévir et, enfin, rue Barbette, sans doute au fur et à mesure des appels téléphoniques qu’ils reçoivent du magasin.
Les vigiles disposent des cordons rouges style VIP sur les trottoirs pour canaliser la clientèle. Les clients qui occupent ainsi illégalement l’espace public, sous contrôle d’un service de sécurité privé s’arrogeant la régulation ou l’interdiction de la circulation des piétons, se comptent par centaines.
Profitant de l’impunité absolue dont il bénéficie de la part des pouvoirs publics, en dépit des protestations que le voisinage a immédiatement formulées (http://vivrelemarais.typepad.fr/blog/2016/03/la-rue-barbette-iiie-potentiellement-sinistrée-.html ), ce commerce a franchi une nouvelle ligne rouge vendredi 9 décembre.
Installés sur le trottoir des Archives, rue des Quatre-Fils, les vigiles appelaient nominalement les clients qui s’étaient inscrits, à l’aide d’un porte-voix, lequel s’entendait de manière parfaitement compréhensible dans les appartements du 97 de la rue Vieille-du-Temple, soit deux cents mètres plus loin, dans une autre rue, et toutes fenêtres fermées. Chaque appel était suivi d’une clameur de la foule. Quelque 200 consommateurs étaient en effet massés de l’autre côté de la chaussée, sur le trottoir, du carrefour de la rue Vieille-du-Temple et du 2 de la rue des Quatre-Fils, à l’école communale publique.
Encadrés par des vigiles, ils submergeaient le passage clouté et l’arrêt d’autobus. Les piétons et les passagers du 29 étaient contraints d’emprunter la chaussée soit pour traverser la rue des Quatre-Fils soit pour accéder à l’autobus ou en sortir. Les consommateurs appelés par le vigile devaient se présenter à lui en traversant la rue en dehors des passages cloutés, à la hauteur de l’arrêt d’autobus. Rue Barbette, le trottoir des numéros pairs était occupé par la file des consommateurs et les cordons disposés par les vigiles ; le trottoir des numéros impairs, saturé de badauds et de vigiles, était tout aussi impraticable, et les piétons devaient évoluer, là aussi, sur la chaussée de la rue Barbette, à leurs risques et périls.
Ces faits sont inacceptables et contreviennent à la réglementation et à la loi :
- un magasin n’a aucun droit d’occuper à des fins lucratives l’espace public en y disposant des barrières et des vigiles (je répète qu’il ne s’agit pas d’une affluence spontanée de clients faisant la queue, comme devant une boulangerie, à l’heure de pointe, mais de consommateurs qui sont convoqués à des endroits précis, au demeurant éloignés de plusieurs centaines de mètres du magasin, et encadrés par un dispositif de sécurité qui n’a rien de spontané)
- Un commerce n’a pas non plus le droit de provoquer du tapage audible à des centaines de mètres et de troubler de la sorte la tranquillité publique, notamment celle d’une école publique, à cinquante mètres, dans laquelle les élèves sont censés pouvoir se concentrer.
- Supreme met en danger la sécurité des piétons et des passagers de la RATP qu’il contraint à évoluer sur la chaussée. Je rappelle que son dispositif, le 9 décembre, rendait inaccessible l’arrêt de bus du 29, et que, depuis l’inauguration du magasin, le 10 mars 2016, il rend impraticables les trottoirs de la rue Barbette une bonne partie de la journée, alors même que celle-ci comprend un parking public, une école publique, une maison de retraite.
- Légalement, les forces de l’ordre ont le monopole du contrôle de la voie publique, et les piétons n’ont pas à se soumettre aux ordres ou aux dispositifs contraignants, sous forme de barrières, de services privés de sécurité.
- Les attroupements publics de centaines de personnes, organisés sans autorisation de la Préfecture de Police, sont illégaux, singulièrement en période d’état d’urgence.
Photos et témoignages ont été recueillis. Ils ont d’ores et déjà donné lieu à une information publique : http://vivrelemarais.typepad.fr/blog/2016/12/supreme-rue-barbette.html .
Je vous écris aujourd’hui pour attirer votre attention sur le fait que votre responsabilité est engagée, notamment si un accident ou un drame devait survenir à la suite de l’occupation illégale de l’espace public par le magasin Supreme et son service de sécurité privé. Les victimes ne manqueraient pas de se porter partie contre la Préfecture de Police et la Mairie de Paris, et les témoignages ou les publications confirmeraient que ces dernières étaient parfaitement informées des violations systématiques de la réglementation et de la loi dont se rend coupable Supreme depuis son inauguration.
J’attire aussi votre attention sur le fait que l’exemple de Supreme est d’ores et déjà suivi par d’autres commerces, tels que Urban Decay, rue des Francs-Bourgeois http://vivrelemarais.typepad.fr/blog/2016/12/urban-decay.html ou le magasin Nike, rue des Hospitalières-Saint-Gervais, par exemple le 30 avril 2016 (photos personnelles en ma possession)
Veuillez agréer, Madame la Maire, Monsieur le Préfet de Police, Monsieur le Maire d’arrondissement, l’expression de ma considération distinguée.
Jean-François Leguil
97, rue Vieille-du-Temple
75003 - Paris