Berges rive droite, le pont Notre-Dame (IVe) : le débat autour de leur fermeture est l'arbre qui cache une forêt très dense (Photo VlM)
Au café du commerce, où se tiennent les grands débats aujourd'hui sur la pollution, on reproduit sans le savoir les dialogues des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, et la guerre picrocholine entre ceux - adversaires irréductibles - qui ouvrent l'œuf à la coque par le grand bout et ceux qui l'ouvrent par le petit.
A Paris en ce moment, il y a ceux qui ragent et pestent contre le réaménagement des berges rive droite et ceux qui s'en réjouissent.
Laissons de côté délibérément les mesures de pollution et de trafic puisque chacun les manipule et les utilise au bénéfice de sa propre rhétorique, et faisons appel au simple bon sens. Voici ce qu'il en ressort :
La fermeture des voies sur berges fait-elle baisser la pollution de l'air sur les berges ? Oui si on promène son nez au ras du bitume. Mais la différence est infinitésimale car l'air a la fâcheuse propriété de se déplacer au moindre souffle et n'hésite pas à monter sur les quais hauts... ou redescendre si bon lui semble.
D'accord, mais les berges sont-elles plus agréables qu'avant ? Sans aucun doute, si je suis piéton habitant des quartiers riverains. Cet espace, qui mérite plus que jamais la distinction de l'UNESCO est une sorte de paradis dans Paris. Pas d'accord si je vis en banlieue et dois me rendre à Paris. Le trajet du pont de Saint-Cloud à Bercy est sensiblement plus long.
Le temps va-t-il arranger les choses ? "C'est ce qu'on pense", disent ceux qui misent sur un changement de comportement des utilisateurs du parcours. "Il faut simplement du temps à ce temps et parier sur la mise en œuvre des nouveaux moyens de transports en commun annoncés pour 2018 (le tram bus)". Les autres ne le croient pas et ont certainement raison à court et moyen-terme.
Entre porte de St Cloud et Bir Hakeim : voitures réduites à la portion congrue au profit de vélos qui ne semblent pas s'y précipiter (Youtube)
Pourquoi si les décisions sont à ce point discutables, tout ce charivari dans Paris et des travaux qui accroissent encore la gêne des gens qui circulent ? Réponse : la pollution de l'air. Les parisiens ne veulent pas mourir asphyxiés par les gaz d'échappement de véhicules à moteur thermique. C'est légitime. Mais la pollution parisienne est-elle le fait de Paris ? En partie évidemment car en effet les gaz nocifs et les particules s'accumulent dans le bassin géologique en l'absence de vent. On le voit bien sur les photos de ce genre d'épisodes.
Le smog de Paris : pic de 2012
Sauf que la pollution de Paris vient aussi et abondamment d'ailleurs, y compris d'Allemagne qui a décidé maintenant de bruler du charbon pour produire son électricité et rejette son CO² et autres produits de la combustion dans l'atmosphère c'est-à-dire chez nous quand la France est concernée par un flux de Nord-Est.
N'empêche, l'Allemagne a eu le courage d'arrêter le nucléaire. Du courage en effet, pour revenir aux centrales thermiques dont le combustible est à l'origine de centaines de milliers de morts dans le monde à cause notamment des mines de charbon ! Le nucléaire civil n'a tué personne encore. Les victimes de Fukushima sont le fait d'un tsunami, pas des centrales.
Est-il alors justifié de mettre le nucléaire au pilori ? Oui disent les écolos. Tout en militant pour que les véhicules thermiques soient remplacés par des véhicules électriques. On s'en portera beaucoup mieux dans nos villes. Très bien mais comment va-t-on produire et distribuer cette électricité ? Est-on conscient déjà que le nombre d'ampères qui circulent aujourd'hui dans nos circuits de distribution du courant va être multiplié par un facteur tel qu'il obligera à démanteler et re-dimensionner les réseaux urbains actuels pour que les rues soient équipées de bornes de rechargement ?
Et puis, d'où va venir cette électricité ? Les éoliennes ? Elles ont de piètres performances et défigurent les sites. On constate déjà un fort rejet de leur présence par la population. De plus, leur "empreinte carbone" est élevée du fait des immenses plateforme de béton qu'il faut construire pour les fixer au sol. Elles supposent aussi qu'il y ait du vent et en son absence une autre source doit prendre le relais.
Éoliennes en Normandie. Ce qui est beau, sur cette photo, ce sont les nuages...
Attendez, il y a aussi l’énergie photoélectrique qui elle fait appel au soleil, à la lumière ! En effet mais outre l'impact inesthétique de grandes surfaces photovoltaïques, elle aussi dépend de conditions extérieures et on ne sait pas fabriquer de panneaux solaires aujourd'hui sans faire appel aux terres rares (lanthanides) qui sont un quasi monopole de la Chine avec 90% de la production mondiale et la possibilité de "faire la pluie et le beau temps" sur un marché menacé d’assèchement rapide.
Quant aux batteries, seul moyen disponible à nos jours pour stocker l'électricité des sources intermittentes que sont le photovoltaïque et l'éolien, elles fonctionnent au lithium dont le Chili est le principal producteur. La décision de l'américain Tesla d'investir massivement dans ce domaine pour fournir le marché des smartphones et de la voiture électrique revient à hypothéquer toute la production mondiale de lithium à l'échéance 2020 !
Extraction des terres rares en Chine
ALORS QUE FAIT-ON ?
VOICI SANS PRÉTENTION CE QUE NOUS SUGGÈRE L'ANALYSE :
- Hâtons nous lentement vers l'abandon du nucléaire
- Poursuivons la réduction volontariste de nos besoins énergétiques
- Encourageons la production de moteurs thermiques à très faible consommation d'essence ou de gazole (2 litres/100 km) qui ont vocation à retarder voire envoyer aux calendes grecques l'aboutissement du tout électrique, et réservons de toute manière ce type de véhicules au milieu urbain.
- Allons vers la voiture électrique d'un pas raisonnable compatible avec la prise en compte des réalités liées à ce mode de transport.
- Déconcentrons les hyper centres-villes dont Paris (ville la plus dense d'Europe) fait partie pour que l'activité économique et le tissu résidentiel se rejoignent en périphérie, en limitant ainsi les besoins de transports. Dans ce schéma, la politique de dissuasion de l'usage urbain de la voiture encombrante, même électrique, couplée à une modernisation des transports en commun à Paris, a un sens si elle s'accompagne d'un bon niveau d'échange avec les parties concernées.
Gérard Simonet Jean-Claude Théodart
Plusieurs remarques sur vos propositions d'actions :
- le véhicule à 2 litres sera plutôt urbain, au sens ou il sera plutôt léger et peu puissant. On l'imagine donc plutôt pas cher s'il veut concurrencer les berlines actuelles. Il ne sera donc pas diesel, le coût de dépollution étant à mon avis rédhibitoire.
- la densité est nécessaire pour garder les TC et les modes doux compétitifs face à la voiture. Donc "décentrer le centre ville" doit se faire au profit de la petite couronne, en tous cas pas au delà de la rocade du grand paris express, qui est une très bonne opportunité pour créer de nouvelles centralités mixtes et connectées aux transports.
N'oublions pas que la grande couronne, très motorisée, contribue très fortement au nuage de pollution parisien, beaucoup plus que les centrales à charbons allemandes !
Rédigé par : Alladin Sane | 27 décembre 2017 à 19:08
Oui merci pour cet article.
Personnellement je pense qu'il est logique qu'une ville travaille pour le bien-être de ses habitants tout simplement et que le tout voiture des années 70 est derrière nous.
Valérie
Rédigé par : Valérie | 13 décembre 2017 à 13:40
félicitations à G Simonet et JC Théodart pour cette synthèse sur l'état actuel des contraintes liées au besoin d'énergie
je souhaiterais une grande diffusion a cette note: pouvez vous l'envoyer à la presse écrite pour qu'elle soit reprise , et publiée comme un courrier de lecteurs ?
on manque tellement de repères, de vision globale, dans le traitement de l'information , que certains médias devraient etre intéressés
et encore merci aux deux sages !
Rédigé par : m m | 13 décembre 2017 à 11:53
Ce jour 8 décembre il pleut...
pas un vélo à l'horizon , ils sont comme les éoliennes : intermittents !
Rédigé par : tdt | 08 décembre 2017 à 17:54
Bonjour et merci pour cet article très intéressant.L'analyse est équilibrée et permet de mesurer les contradictions de tous les tentatives de solutions écologiques, sous un œil objectif. Cependant la partie solution est un peu faible, car en fait il n y a pas de solutions idéales il faudra donc nous acheminer vers des compromis. Un oubli important : La voiture Hybride est un assez bon compromis car alliant l'autonomie par le carburant et sa propre fabrication d'Electricité, non prise sur le réseau, elle permet en ville une émission nulle en carbone. Une autre suggestion : Renoncement à certaines libertés exagérées pour le bien commun. Nous faudra t il changer nos habitudes: voyager moins pour polluer moins, consommer moins pour moins produire etc...Mais là on touche à notre propre civilisation, ce sera bien sur beaucoup plus difficile. Paul Meillon
Rédigé par : nt | 08 décembre 2017 à 13:55
Ce dont tout le monde pouvait se douter: Anne Hidalgo donne des leçons à tous, mais elle se déplace toujours ... en voiture! ET même pire, elle prend le vélo devant les caméras et sa voiture l'attend plus loin. Voir l'excellente enquête dont Le Point se fait aujourd'hui l'écho.
Rédigé par : Jérôme Pl | 08 décembre 2017 à 12:58
A Pierre Merlin, juste pour le plaisir de débattre avec quelqu'un d'éminemment compétent :
Il y a des théories qui valent à une certaine échelle et cessent de s'appliquer quand on passe un seuil. Au risque de me voir taxer de pédanterie, la physique de Newton révisée par Einstein traduit bien la réalité du monde à notre échelle et au-delà. En revanche elle est défaillante quand on entre dans le domaine des atomes et des particules, où la théorie des quanta prend le relais. Em matière de concentration de population, ce que votre commentaire passe sous silence c'est que la qualité de vie des habitants dans un urbanisme trop concentré ne peut être assurée car on se heurte à l'impossibilité d'assurer des besoins fondamentaux incompatibles avec la gestion d'une foule trop dense, qui sont la sécurité, la propreté, la tranquillité (pouvoir dormir la nuit...) et la fluidité des mouvements. J'ignore où est le seuil mais je crois qu'il ne serait pas stupide de le fixer autour de 200 hab/ha
Rédigé par : Gérard Simonet | 08 décembre 2017 à 09:55
Article remarquable et remarqué par les lecteurs du blog
Au passage, quelques références à des sujets déjà évoqués précédemment par Vivre le Marais ! :
que dire du chauffage des terrasses à grand renfort de Kilowatts: sans tomber dans l'écologisme primaire, c'est vraiment exagéré et lié une fois de plus à l'esprit de lucre qui se répand partout comme l'air ambiant ;
que dire de la nouvelle réglementation sur les voitures dans Paris qui va dans le bon sens mais disqualifie des véhicules anciens à pot catalytique tout en acceptant les diesels flambant neufs
le point crucial de cet article de fond c'est de montrer la contradiction latente entre les principes et la réalité et surtout les tensions entre bonnes idées à court terme et complexité contrariante de la mise en œuvre sur le plus long terme. C'est très clair pour la phobie du nucléaire civil.
Quant à la densité du centre de la capitale, c'est aussi la rançon du succès patrimonial et touristique
Sortir des idées reçues : c'est acquis ; en finir avec les querelles stériles : c'est plus difficile et chaque clan va continuer à camper sur ses positions tout en priant en commun pour ne pas se retrouver dans la situation des grandes villes chinoises.
Je me souviens qu'en rentrant d'un séjour professionnel dans une grande capitale d'Asie (11 millions d'habitants), j'avais l'impression en arrivant à Paris d'être dans un paradis urbain... tout est relatif, cela ne doit pas conduire à renoncer à aller de l'avant selon les termes sélectionnées à juste titre par les rédacteurs de cet article qui prête à réfléchir.
Rédigé par : HM | 08 décembre 2017 à 03:21
Cet article donne le sentiment que tout argument péremptoire trouve aussitôt son contrepoids. Cela peut démobiliser. Cela peut aussi, je le souhaite, pousser à soutenir toutes les initiatives modestes mais utiles, plutôt que tout ce qui relève de l'esprit de système.
Rédigé par : MP | 07 décembre 2017 à 18:50
Bravo pour cet article.
Le diagnostic est parfaitement pertinent.
Les recommandations le sont également,à l'exception de la dernière. Ce n'est pas la concentration urbaine qui est la cause d'une consommation supplémentaire d'énergie et donc d'un excès de pollution. Au contraire, dans le coeur des grandes agglomérations, on consomme moins d'énergie de chauffage (température extérieure supérieure, moins de perte thermiques, logements plus petits) et pour les transports (moindre mobilité par un moyen de transport mécanisé, utilisation beaucoup plus importante des transports en commun qui, par kilomètre parcouru par une personne, utilisent au moins trois fois moins d'énergie et polluent environ dix fois moins).
Pierre MERLIN
Rédigé par : Pierre MERLIN | 07 décembre 2017 à 18:02
Cette fois, il faut je prends le temps de réagir à votre édito sur la pollution ! Et dire d’abord, un grand bravo pour votre lucidité et votre courage. Il faut du courage, en effet, pour remonter les courants… C’est bien la première fois que je lis des choses sensées sur le problème de la pollution : ce n’est pas le discours ambiant. J’aime.
Ce sont des idées que je partage largement. Je ne parlerai pas seulement de Paris et des voies sur berge, mais de la pollution en général et des idées-reçues sur la question. Vous dites que la pollution à Paris ne vient pas que de la ville elle-même, et je le crois volontiers. Peut-être, par ailleurs, faudrait-il s’intéresser aux milliers d’avions qui décollent, atterrissent ou survolent partout ! Trop d’intérêts, d’emplois et d’argent dessous pour qu’on en parle n’est-ce pas ?
Là où je suis, je crois, complètement avec vous, c’est quant aux « solutions » bien-pensantes sur ce problème de pollution. Je ne crois pas que l’écologie, dans laquelle l’ancien-scout que je suis est tombé il y a bien longtemps, consiste à limiter, à interdire et à supprimer. Dans l’Histoire, aucune civilisation n’a fait une quelconque marche arrière. Je crois plutôt que le vrai problème, bien plus ardu et sans doute scientifiquement plus correct, consiste à partir d’un constat, à SAVOIR COMMENT ON VA S’ADAPTER A UNE SITUATION IRREVERSIBLE. C’est plus difficile et sans doute moins « spectaculaire ». Cela personne ne s’en occupe, on fait du bouche-trous, des ukases et très vite l’anti-ukase correspondant, on dépense beaucoup et la pollution est toujours là, bien sûr… Je pense comme vous, en disant cela, à l’éolien, solaire et autres tout-charbon.
Vous avez eu le grand mérite et le courage de le dire clairement, même si ce n’est pas la « musique habituelle ». MERCI.
Rédigé par : Lucyves | 07 décembre 2017 à 17:07
Réponse à Askharias : On fait tout le contraire en matière de logements. Ian Brossat, Adjoint au logement, transforme à grand frais des édifices institutionnels comme la caserne des Minimes, à deux pas de la place des Vosges, en logements sociaux tandis qu'on s'apprête à construire l'énorme Tour Triangle dans le XVe qui, avec ses 180 mètres de haut, a l'ambition d'accueillir 80.000 m² de bureaux !
Rédigé par : Vivre le Marais ! | 07 décembre 2017 à 16:38
Je suis tout à fait d'accord avec cet article et en particulier sa conclusion. Le véritable problème de la pollution est la concentration de la population dans des espaces restreints et confinés. Paris comme bien d'autres mégapoles est exemplaire à cet égard. La solution n'est pas un grand Paris mais une region Ile-de-france capitale. Si les pouvoirs publics nationaux et les administrations centrales ainsi que les sièges des grandes entreprises étaient dispersés à la périphérie de la region, Paris pourrait déjà mieux respirer. En s'inatallant a Versailles Louis XIV avait ouvert une voie salutaire. Il serait bon de s'en inspirer.
Rédigé par : Askharia | 07 décembre 2017 à 16:22
Merci de cette analyse convaincante.
"…une modernisation des transports en commun à Paris…" — Le remplacement, plutôt rapidement, des bus diesel serait une très bonne étape.
Rédigé par : John D | 07 décembre 2017 à 14:54
Enfin je comprends un peu mieux les tenants et les aboutissants de ce dossier vraiment complexe. Mais si j'interprète bien,il ne faut surtout pas se précipiter vers quoi que ce soit. Les allemands n'ont-ils pas été trop rapides en ressortant leur charbon?
Rédigé par : Charles | 07 décembre 2017 à 14:41
je suis admiratif de cet article pour la forme et pour le fond!
Rédigé par : Ambrojean | 07 décembre 2017 à 14:32