Illustration Michaelski
Tous les commentateurs économiques y vont de leurs déclarations à propos de la dette publique française dont les vannes ont été librement ouvertes dès le déclenchement de la crise sanitaire du COVID par une déclaration du Président de la République et son fameux "quoi qu'il en coûte". Leurs conclusions sont généralement inquiétantes : elles tendent à culpabiliser la génération qui est aux affaires en l'accusant de laisser à ses enfants le soin de rembourser une dette qu'elle a construite.
Il faut dire que ceux qui nous dirigent donnent du crédit à cette affirmation : on entend régulièrement le gouvernement et son Ministre de l'économie affirmer que la dette sera remboursée par la croissance future et les excédents qu'elle dégagera. C'est grossièrement faux : la France n'a pratiquement jamais connu d'excédent budgétaire. Durant la dernière décennie, le déficit s'est régulièrement situé autour de 30 % des recettes (à ne pas confondre avec l'engagement de la France vis à vis de la Commission Européenne de ne pas dépasser 3% du produit intérieur brut). Par quel miracle ce déficit chronique et presque statutaire se changerait-il en excédent ?
A ce sujet, les politiques mentent effrontément car ils estiment qu'il serait suicidaire de leur part de reconnaitre que nous ne rembourserons jamais cette dette. C'est pourtant la vérité et elle n'est pas aussi cruelle qu'ils le craignent....
La vérité c'est que la dette n'est pas un chiffre qu'on traite en bloc. La dette est faite d'une multitude d'emprunts auprès de souscripteurs publics ou privés avec des durées, des échéances, des modalités de remboursement et des taux d'intérêts différents. Lorsqu'un de ces emprunts arrive à échéance, il est remboursé et l’État émet un nouvel emprunt en couverture de ses nouveaux besoins. Ce mécanisme peut se répéter à l'envi pour autant que l'emprunteur trouve un prêteur.
Remarquons au passage que dans le monde qui est le nôtre, le total général des dettes est égal au montant général des créances, par construction. Mais au niveau élémentaire, les conditions accordées par les prêteurs dépendent de la crédibilité de l'emprunteur et de sa capacité à payer les intérêts et faire face aux échéances.
Dans le pire des cas aucun prêteur ne répond. L'emprunteur est en faillite, la dette est annulée de facto mais il affronte une crise économique et sociale sur fond d'inflation galopante et de misère, qui peut déboucher sur des émeutes et des désordres politiques.
On peut affirmer sans trop de risque que la France ne risque pas de connaitre ce sort car elle appartient à la zone Euro. Les pays qui la constituent sont majoritairement de bons gestionnaires des finances publiques, avec en tête l'Allemagne mais aussi les Pays Bas, le Luxembourg et l'Autriche. Plusieurs sont proches de l'équilibre, notamment les Pays Baltes, la Belgique, Chypre.... En revanche, l'Italie, l'Espagne et la France se comportent en mauvais élèves. Ils bénéficient heureusement de la bienveillance de la communauté et des récentes décisions de la Banque Centrale Européenne de mutualiser la dette et le recours à l'emprunt. Il faut dire que nos pays sont pour eux des marchés importants qu'ils ont tout intérêt à préserver...
Dès lors, lorsque la France emprunte elle bénéficie de la signature de cette Europe et dans une mesure moindre du poids de pays européens bons gestionnaires qui ne sont pas dans l'Euro comme la Suède et le Danemark. Le Royaume Uni quant à lui est pour le moment un grand point d'interrogation. On ne sait pas dans quel schéma le brexit va le conduire....
Cette zone Euro à laquelle nous appartenons peut être aujourd'hui considérée comme la place financière la plus sure du monde. Il n'est pas surprenant dans ces conditions que les prêteurs viennent chez nous pour y placer leurs excédents à des taux d'intérêts très faibles voire négatifs.
Cette dette ne sera pas remboursée, elle ne sera pas effacée, elle sera pérennisée. Tout au plus, on peut imaginer que les banques centrales seules annulent les créances qu'elles détiennent. L'économie de la zone Euro est prospère et l'inflation ne la menace pas. Les banques centrales maintiennent des taux bas. L'offre y est abondante et l'accroissement de la productivité du fait des nouvelles technologies de l'information empêche les coûts de production de peser sur les prix.
On peut légitimement se demander si cette situation durera longtemps. A cette question on n'a naturellement pas de réponse car on ne maitrise pas l'avenir et ce qu'il nous réserve comme surprises mais on peut répondre que si les choses restent égales par ailleurs nous vivrons avec une dette éternelle dont on s'accommodera même si elle croit. Le service de cette dette sera supportable tant que les taux resteront bas et il en sera ainsi si nous poursuivons une politique européenne cohérente et solidaire.
Gérard Simonet