Sécuriser et sanctuariser les trottoirs de Paris pour les rendre à ses usufruitiers naturels : les piétons (Photos VlM/JFD)
Dans un article du 27 août, Jean-François Daull, l'un des membres fondateurs de l'association des utilisateurs de DansMaRue, publiait sur notre blog un manifeste sur les terrasses éphémères/estivales, qui a fait grand bruit dans les médias. Son contenu fait désormais office de document de référence sur le sujet. J.F. Daull s'attaque aujourd'hui à une autre raison de se plaindre de l'état du paysage urbain à Paris : l'état des trottoirs qui constituent un vrai parcours du combattant pour les piétons à mobilité réduite et notamment les plus fragiles. Voici son analyse.
********
Il y a d’abord ces empiétements illégaux sur la voie publique. Tables de bistrot, chevalets ou porte-menus débordant de l’emprise des terrasses des cafés, jardinières de fleuristes, étals des marchands ou oriflammes de supérettes
Dans son rapport d’audit d’avril 2016, l’Inspection générale de la Ville de Paris constatait elle-même « un non-respect généralisé » du règlement des étalages et terrasses de la capitale («plus de 75 % des établissements sont en infraction au règlement » (p 68).
Sur ce point, la situation n’a guère évoluée.
La politique des terrasses éphémères/estivales a accru ce désordre d’autant qu’une majorité d’établissements ne respectent ni les conditions d’installation, ni même la Charte pour ceux qui l‘ont signée.
Le piéton doit composer aussi avec les dépôts sauvages, épaves diverses, poubelles sorties sans respecter les horaires
Il y a aussi ces véhicules et ces deux roues garés sur les trottoirs en toute impunité.
Il y a également le développement rapide de l’usage du vélo. Sans remettre en cause le bien-fondé de cette « politique pro-vélo », il faut admettre, pour essayer d’éradiquer le phénomène, que le mauvais comportement de certains a des conséquences très négatives sur l’autre mobilité douce : celle des piétons.
Il ne faut pas oublier dans cet inventaire ces trottinettes, Gyropodes électriques et autres EDPM qui squattent les trottoirs, en marche ou à l’arrêt et constituent un véritable danger.
Tous ces obstacles. empêchent trop souvent les piétons de circuler librement, sereinement et en toute sécurité sur les trottoirs de Paris.
Et puis, il y a enfin ces travaux de voirie incessants et répétitifs (avec une coordination à-minima jusqu’à ce jour) qui ont un coût économique et écologique et occasionnent une gêne considérable pour les riverains.
Certains chantiers sont mal tenus et ne respectent pas les obligations précisées dans les autorisations de travaux délivrées par la mairie.
D’autres sont en « standby » sur des longues périodes pour des raisons injustifiées.
la quasi-totalité des chantiers ne respecte pas l’article 8-4 du règlement de voirie pour ce qui concerne le rebouchage définitif des « fouilles ».
Avant le 1er janvier 2016, la voirie s’occupait du rebouchage définitif et facturait ensuite à l’opérateur à l’origine des travaux le coût analytique de cette réfection. Cela permettait aux riverains d’avoir un interlocuteur identifié et responsable et d’obtenir rapidement la remise en état. De plus, ce processus ne coutait pas un centime au contribuable parisien.
Depuis le 1er janvier 2016, un nouveau processus a inversé la responsabilité du rebouchage définitif. Cette réforme, imposée par l’Adjoint aux finances de l’époque pour réaliser des économies, a aggravé la situation de la voirie déjà mise à mal par une frénésie de travaux et une mauvaise coordination des chantiers. Il s’agissait de décharger les services comptables de la gestion de comptes de tiers, de la facturation et plus étonnant, du recouvrement d’impayés concernant des opérateurs d’envergure. Certains opérateurs tardaient à payer leurs factures à la mairie. De facto, celle-ci leur accordait des avances de trésorerie.
Depuis sa mise en œuvre, les opérateurs mais aussi certains services de la ville ont été plus que défaillants dans le respect du délai article 8-4.
Le nouvel article 8-4 du règlement de voirie (2015) prévoit : « sauf prescriptions particulières, le délai maximum entre la réfection provisoire et la réfection définitive est de 30 jours ouvrés ». Cette disposition est rarement respectée loin s’en faut.
C’est la catastrophe prévisible.
Lors des concertations préparatoires, les salariés concernés avaient d’ailleurs fait part à leur Direction leurs réserves sur ce nouveau dispositif.
Pour des raisons financières, les entreprises ne se dépêchent pas d’effectuer cette remise en état et semblent considérer les timides injonctions des responsables de la voirie avec une certaine désinvolture (euphémisme). Elles, ou leurs prestataires de services, préfèrent sans doute regrouper l’asphaltage sur plusieurs chantiers même éloignés et sans rapport les uns avec les autres. Parfois, ces opérateurs évoquent des travaux à venir plus ou moins réels pour justifier ces retards. Parfois, elles oublient purement et simplement de reboucher.
De plus, faute d’identifier l’opérateur ou d’obtenir de sa part la réfection des trous, la mairie procède, au bout d’un certain temps, au rebouchage aux frais … du contribuable.
Ainsi, non seulement l’économie envisagée n’est pas au rendez-vous, mais la voirie et notamment les trottoirs offrent une vision lunaire et se révèlent, à certains endroits, difficilement praticables voire dangereux notamment pour les personnes âgées, handicapées et les mamans avec leurs poussettes.
Ce principal obstacle et le plus dangereux, met en cause la responsabilité de la ville.
Ces violations quasi-systématiques de l’article 8-4 se déroulent sous le regard indifférent ou impuissant des autorités compétentes.
En résumé : des process défaillants.
- En amont, la DVD vérifie rarement le respect de ce délai imposé par le règlement de voirie.
- Elle ne dispose pas d’outils pertinents au niveau de ses systèmes informatiques. Le rapport de septembre 2020 de l’Inspection de la ville sur la catastrophe de la rue de Trévise a ainsi mis en exergue les failles et insuffisances de ce S.I. (SMEP et DMR + CITé et OCTET).
- A réception du primo-signalements, la DVD se contente de transmettre celui-ci à l’opérateur et de clôturer le signalement. Idem après les relances. Ce « non suivi » est incompréhensible.
- Elle ne met pas en œuvre une procédure d’injonction avec pénalités. Elle n’en a peut-être pas la volonté politique du fait du pouvoir de certains « gros » opérateurs ou les moyens juridiques. Dans cette hypothèse, les services juridiques de la ville pourraient étudier la question.
- Dans beaucoup de cas, trois ou quatre relances peuvent se trouver à chaque fois clôturés avec le même process et donc sans résultat.
simples questions.
- Le dispositif voté en 2015 s’est-il appuyé sur une étude d’impact ? La DVD a-t-elle adapté l’organisation, les moyens (de suivi et de contrôle notamment) et les process à cette réforme importante?
- Pourquoi l’article 8-4 est-il systématiquement violé depuis son instauration en 2016. Les services font ils le nécessaire (et ont-ils les moyens de le faire) pour suivre les chantiers afférents, surveiller le respect des délais du Règlement de voirie ou prévus par l’autorisation municipale, imposer des pénalités aux opérateurs concernés et procéder eux-mêmes au rebouchage avec facturation analytique aux opérateurs défaillants ?
- Avant 2016, l’ancien process fonctionnait beaucoup mieux, les trous non rebouchés étaient rares et le délai de rebouchage après signalement était très rapide. La municipalité a-t-elle procédé à une évaluation du dispositif 2016 ? Le moment n’est-il pas venu de constater son échec, de revenir à la situation antérieure ou de le revoir de fond en comble?
- A défaut, les citoyens-contribuables et contributeurs du site dansmarue, ne sont-ils pas légitimes à exiger le respect de l’article 8-4 ? Les services sont-ils prêts à les respecter et à les entendre un peu plus?
- Sur les cinq dernières années, quel est le nombre d’accidents constatés du fait de ces trous ? Combien d’actions entreprises par les victimes contre la Mairie ? Quel est le montant des indemnisations versées « à l’amiable » ? Idem pour les contentieux.
- Qu’en est-il de l’audit interne réalisé en 2019/2020 par la DVD ?
- Il se dit qu’en 2019 et 2021, la direction de la voirie aurait réalisé deux inventaires des trous de chantiers pour identifier les « oubliés ». Quel est le résultat de ce travail en termes statistiques mais aussi en termes de conclusions ?
Rien n’interdit aux Conseillers de Paris, de la majorité comme de l’opposition, de s’approprier ce questionnement et les propositions qui suivent pour le plus grand bénéfice des parisiens.
Propositions.
Personne ne peut contester l’état déplorable de la voirie, les violations de l’article 8-4 et ses conséquences sur la sécurité et la mobilité des piétons en particulier des plus fragiles.
Alors, que faire ?
Je formule donc quelques pistes de réflexion.
- Faire partager ce constat par tous les acteurs et, au premier chef, par les décideurs.
- Commanditer un audit global et réellement indépendant de la Ville en y associant des Maires d’arrondissement, des personnels de la DVD [direction de la voirie et des déplacements] et des contributeurs du site DMR [DansMaRue].
- Réaliser un inventaire exhaustif et donc plus fiable que celui de 2019 sur tous « les trous de voirie » en instance (article 8-4 et autres) pour élaborer et mettre en œuvre un véritable plan « Orsec » de la voirie sous l’égide des Maires d’arrondissements, avec une date butoir.
- Remettre à niveau les budgets qui ont considérablement diminué ces dernières années.
- Repenser cette organisation très complexe qui semble se caractériser par le syndrome de l’armée mexicaine avec un « back office » rondouillard et un « front office » maigrelet au regard de ses missions. Cela permettrait de redéployer des effectifs des premiers au profit des seconds.
- Alléger la fiche de poste des chargés de secteurs en dédoublant le cas échéant leurs circonscriptions ou en créant des postes d’adjoint dans certains secteurs.
- Augmenter les effectifs de la brigade dite « des releveurs » qui ne comporterait que 10 agents pour tout Paris. Les contributeurs ne doivent pas remplacer les services dans leur rôle de vigie.
- Prendre en compte la démotivation des personnels de terrain (projet d’entreprise et démarche qualité).
- « Muscler » la formation des personnels sur le thème « handicap/vieillesse et voirie » et sur celui de « rapport avec les usagers »
- Abroger l’article 8.4 presque jamais appliqué car inapplicable et en revenir à la situation ante 2016.
- Repenser les systèmes d’information comme suggéré par le rapport d’inspection de 2020.
- Revoir la procédure issue des signalements DMR notamment pour ce qui concerne les anomalies à charge d’opérateurs extérieurs. Il faut en finir avec la simple transmission et la clôture intempestive d’une anomalie de ce type pourtant non résolue.
- Déterminer des objectifs de délais d’intervention pour chaque type d’anomalie de voirie.
- Améliorer la relation usagers/service public notamment vis-à-vis des contributeurs DMR. Ce contact régulier avec les riverains (très utile lorsqu’il est mis en œuvre) figure dans les fiches de postes (Chargé de secteur et STV). Mais, faute de temps, de formation et de sensibilisation, il est souvent en jachère
- Instaurer une procédure « d’appel » pour permettre aux contributeurs de transmettre une anomalie non résolue malgré un « primo-signalement » et une relance.
- Créer un poste de médiateur de la voirie pour instruire des réclamations relatives à ces travaux et à ces anomalies non résolues. A défaut, inscrire ces problématiques dans la compétence du Médiateur de la Ville.
Jean-François DAULL
(Extrait de mon mémorandum d’avril 2021 : « SOS Voirie parisienne-piétons- personnes âgées et handicapées » adressé à Madame la Maire de Paris avec copie à tous les Conseillers de Paris.