Réagissant à notre article du 23 novembre signé de Dominique Feutry sur l'avancement des travaux de rénovation et d'extension du musée Picasso, Jean-François Leguil-Bayart, directeur de recherches au CNRS et journaliste chez MEDIAPART, proche du PS, nous livre sa vision très critique d'un projet auquel il reconnait peu de vertus.
Mur côté sud des jardins du musée Picasso et du square Léonor Fini. Défiguré depuis au moins dix ans par des tags, sans que personne n'intervienne
Halte au grand musée Picasso !
Sous la direction, très contestée par sa propre équipe administrative, de Anne Baldassari, et avec le soutien du ministère de la Culture, le Musée Picasso s’est lancé dans un ambitieux programme de rénovation et d’agrandissement, dont la Cour des comptes a critiqué le coût et la gestion. Son objectif est clair : doubler sa fréquentation et recevoir de 750 000 à un million de visiteurs par an ! Il correspond à l’idée marchande qu’Anne Baldassari se fait du musée, et qui lui vaut les critiques acerbes de ses collègues : elle a refusé de prêter des œuvres à la grande exposition Picasso du Kunsthaus de Zürich, en 2010, et a récidivé en 2012, lors de l’exposition Degas du Musée d’Orsay, parce qu’elle préfère louer à prix d’or des expositions itinérantes pour financer ses travaux, conformément au « plan d’affaires » (sic) fixé en réunion interministérielle le 4 mai 2011.
On peut à bon droit s’interroger sur la pertinence de cet investissement de 54 millions d’euros, dont 19 millions de subventions d’investissement du ministère de la Culture, à un moment où les finances publiques sont en crise et où l’Etat n’est plus en mesure d’assurer la sauvegarde des monuments historiques. Tout cela dans un quartier qui regorge déjà de musées et de visiteurs, et qui manque cruellement d’espaces verts. Or, précisément, l’extension du Musée Picasso va amputer l’un de ceux-ci, le square Léonor-Fini, sans que jusqu’ici personne ne s’en émeuve faute d’information.
Il n’est pas seulement question de rénover un plancher et d’aménager une salle souterraine, comme l’affirme benoîtement le panneau, à peu près illisible, qui est apposé rue de Thorigny. Il est prévu de construire une aile de 2 000 m2 et de deux étages sur une partie du square Léonor-Fini, à l’aplomb du musée, au risque de défigurer sa superbe façade, une amputation qu’est censée compenser l’ouverture au public de son jardin privé. Mais, dans les faits, l’espace vert sera bel et bien réduit d’au moins 1 000 m2 et des arbres abattus, une partie de l’aile devant être construite au-delà de l’actuel garage, sur l’aire de jeux réservés aux enfants. Et le square sera subordonné aux intérêts du Musée Picasso, dont le « programme scientifique et culturel » prévoit qu’il y organisera des performances et des concerts « en pratiquant une nocturne hebdomadaire, le samedi soir jusqu’à minuit, afin de répondre à l’affluence du public dans le quartier du Marais en fin de semaine », et dont le million de visiteurs investiront ses pelouses dans la journée. Le square, et sans doute la rue des Coutures-Saint-Gervais, dont la Mairie du IIIe annonce maintenant le réaménagement…
D’un point de vue environnemental, ce projet d’extension est une aberration. Outre la réduction de l’espace vert, les autocars de touristes emprunteront la rue Vieille-du-Temple et la rue de la Perle pour y décharger leurs passagers et y stationner, en provoquant des embouteillages supplémentaires dans des voies déjà surchargées et en laissant tourner leur moteur pour les besoins de leur climatisation ou de leur chauffage. Pourquoi recréer au cœur du Marais les nuisances dont les riverains de Notre-Dame ont eu à se plaindre pendant de longues années, avant qu’ils n’obtiennent gain de cause et que les autocars soient chassés des abords de la cathédrale ?
La qualité de l’air, déjà problématique dans ce quartier, sera détériorée par cet afflux de véhicules très polluants, par l’agrandissement du bâti chauffé et climatisé, et par l’abattage d’arbres, sans même parler des deux années de travaux supplémentaires qu’exigera cette extension et qui entraîneront une noria de camions, le fonctionnement de pelleteuses et de grues, la production de poussières industrielles. Enfin le square sera fermé pendant au moins un an et demi, à charge pour le voisinage d’aller respirer et jouer ailleurs – mais où, dans le IIIe arrondissement ?
L’extension du Musée Picasso est un scandale écologique et un gaspillage inadmissible en ces temps de disette financière. Sa réalisation ne ferait qu’intensifier la dérive marchande du IIIe arrondissement, sa transformation en quartier de tourisme de masse sous prétexte de culture, sa muséification consumériste au prix d’un bétonnage supplémentaire. Au-delà de la subvention d’investissement nécessaire aux travaux, elle se solderait par l’augmentation de la subvention d’équilibre du ministère de la Culture, au profit d’un établissement qui incarne une conception hautement contestable, et peut-être caduque, de la politique culturelle, et au détriment d’autres musées dont les besoins sont souvent plus criants. Madame le Ministre de la Culture, vous avez annoncé, en septembre, la poursuite de ce projet hautement contestable sous prétexte qu’il était trop avancé pour être revu à la baisse. Mais vous avez là une occasion salubre de réaliser les économies budgétaires que la dureté des temps exige de vous !
Jean-François Leguil-Bayart
REPONSE de Madame Monique Saliou adjointe au Maire du IIIe, en charge de l'espace public
" L’équipe municipale du 3ème arrondissement ne peut laisser passer sans réaction l’article de M. Jean François Leguil Bayart intitulé « Extension du musée Picasso : halte au feu ».
Non que nous entendions nous prononcer, en tant qu’élus de cet arrondissement, sur la politique muséologique et les choix qui ont conduit les ministres de la culture successifs à soutenir le projet de rénovation du musée Picasso. Il est un fait : Paris demeure la première ville touristique mondiale et les musées participent à son rayonnement. Chaque citoyen peut avoir ses préférences : grands ou petits musées, approbation ou rejet des expositions temporaires, pas de musées du tout, culture élitiste contre culture dite de masse etc. In fine, c’est à un (e) ministre, membre d’un gouvernement issu d’institutions démocratiques, de trancher. La Cour des Comptes que cite M. Leguil Bayart et dont il a sans doute mal lu les travaux, ne porte pas davantage d’appréciation sur la pertinence du projet Picasso ; elle s’inquiète seulement des coûts supplémentaires de fonctionnement créés par la mise en œuvre de nombreux projets culturels (dont beaucoup ont été abandonnés depuis cet été) ; c’est d’ailleurs à la suite de cette inquiétude que le musée Picasso s’est doté d’un « plan d’affaires », destiné à équilibrer coûts et recettes, dont l’auteur de l’article raille l’existence…
Si nous avons souhaité réagir, c’est que M. Leguil Bayart énonce des contre vérités et multiplie les procès d’intention sur ce qui touche à l’aménagement des abords du musée. Il est faux de dire que le jardin Leonor Fini sera amputé de 1000 mètres carrés : les constructions prévues pour abriter des expositions temporaires seront édifiées au dessus et à la place de l’entrée du garage actuel et non dans le jardin. Qui regrettera, en outre, l’esthétique douteuse du bâtiment actuel ? Il n’est pas davantage question de fermer le square lors des travaux, pas plus qu’il n’est question de l’ouvrir tous les samedis soir, jusqu’à des heures indues, au profit d’hypothétiques activités du musée…qui dispose d’ailleurs de son propre jardin.
Quant aux aménagements des rues avoisinantes (rue Thorigny, rue des Coutures Saint Gervais), aucune décision ne sera prise sans une large concertation, selon une méthode suivie pour tous les aménagements réalisés depuis des années dans le 3ème arrondissement. Un conseil de riverains sera réuni très prochainement qui débattra sur les solutions envisageables.
Enfin, la perspective d’une noria d’autocars stationnant, tous moteurs allumés, rue Vieille du Temple, relève du procès d’intention. La mairie du 3ème n’a pas la moindre intention de tolérer une dérive de ce type et les mesures seront prises, en concertation, avec la préfecture de police pour préserver la tranquillité du quartier et la qualité de l’air.
Observons d’ailleurs que les inquiétudes de M. Leguil-Bayart ne sont pas partagées par tous : il suffit de regarder les devantures des agences immobilières pour constater que l’adresse « proche du musée Picasso » est un argument de vente. Notre arrondissement est attractif, il gagne des habitants dont beaucoup de jeunes et de familles, il a une image de dynamisme. Tout en redoublant de vigilance sur la qualité de vie dans nos quartiers, ne nous en plaignons pas !"