Le supplice du bruit dont sont victimes les jeunes comme les vieux...
Le Dr Bertrand Lukacs milite depuis des années pour que les méfaits du bruit soient pris au sérieux, assumés et traités par les pouvoirs publics, Assemblée Nationale, mairies, préfectures et organismes associés comme BruitParif ou le CIDB (centre d'information et de documentation sur le bruit). Il s'est attaché à proposer des solutions pour que le canal St Martin (Xe) reste vivable pour les riverains. Il a ensuite élargi son combat dans une démarche "Vivre Paris !" et créé l'association Habiter Paris d'où il s'exprime dans la tribune que voici.
TRIBUNE sur le BRUIT et la POLITIQUE de la NUIT par le Dr Bertrand Lukacs
La politique de la nuit doit s’appuyer solidement sur une politique de lutte contre la pollution sonore :
Lutter contre la pollution est un enjeu écologique majeur.
Dans une ville aussi dense que Paris, la pollution ne se limite pas à la seule pollution atmosphérique. La pollution sonore est elle aussi un enjeu de santé publique. Cette pollution est en effet responsable de la perte de plusieurs dizaines de milliers d’années de vie en bonne santé par an et coûte plusieurs milliards d’€ à la collectivité. Cette pollution est aujourd’hui totalement oubliée.
Lorsque la mairie de Paris parle de pollution, il faut comprendre pollution atmosphérique. Cette vision verticale, en silo, de la seule pollution atmosphérique peut avoir des effets pervers. Le réaménagement de la place de la République en est l’illustration : la diminution théorique de la pollution atmosphérique a été remplacée par une augmentation bien réelle de la pollution sonore, avec pour résultat un impact assurément négatif sur la santé des riverains.
La lutte contre la pollution sonore doit se porter, en priorité, sur la pollution sonore de la nuit pour deux raisons synergiques entre elles. Même si certains souhaiteraient que ce ne soit pas le cas, pour l’homme, le temps du jour n’est pas équivalent au temps de la nuit. Ainsi est construite notre biologie rythmée par le cycle circadien. Ce cycle joue un rôle déterminant dans la régulation de notre métabolisme. C’est en partie la raison pour laquelle, à travail égal, les travailleurs de nuit ont une plus grande morbidité et mortalité que les travailleurs de jour. Le sommeil de jour n’a pas la même qualité que le sommeil de nuit. Le jour est le temps de l’éveil, la nuit est le temps du sommeil.
Dormir n’est pas du temps perdu. C’est au contraire un temps indispensable pour le corps et plus encore pour l’esprit et le cerveau. Les progrès récents en imagerie médicale du cerveau font apparaître combien les différents temps du sommeil sont essentiels pour organiser, stocker, sélectionner toutes les informations reçues dans la journée, intégrer les connaissances et les concepts, gérer nos émotions. Ces moments sont particulièrement importants chez les enfants, les adolescents, lorsque le cerveau est en phase d’apprentissage. Récemment Santé publique France soulignait l’importance du temps de sommeil total (TST) comme étant un déterminant de santé fort, corrélé à plusieurs comorbidités métaboliques, vasculaires, mentales. Les auteurs s’alarmaient de la diminution de ce TST chez les adolescents dont une des causes est la perturbation du sommeil par la pollution sonore.
La nuit, les causes de la pollution sonore sont multiples. Les plus fréquentes proviennent du trafic routier notamment des deux roues. Mais aujourd’hui, les plus gênantes, dans une ville comme Paris, proviennent de la vie nocturne : terrasses de café non contrôlées, désinhibition des comportements liée à la consommation excessive d’alcool ou autres drogues, établissements de nuit mal insonorisés, nouveaux usages non régulés d’occupation de l’espace public….
Cette pollution sonore liée à la vie nocturne s’aggrave à Paris.
Habitants de la place de la République, de la Butte aux Cailles, de la rue Saint-Martin, du quai de Jemmapes et du quai de Valmy, de l’avenue Richerand, de la rue Jean-Pierre-Timbaud, de la rue Quincampoix, de la rue Pierre-au-Lard, de la rue Dauphine, pour ne donner que quelques exemples, nous sommes tous victimes de cette pollution même si les origines en sont différentes. Nous sommes tous victimes d’une inégalité de traitement qu’il est urgent de corriger : il existe une bien trop grande asymétrie entre la facilité à créer ces nuisances et l’extrême difficulté rencontrée par les riverains victimes de ces nuisances pour en obtenir la régulation… quand ils y arrivent ! Cette asymétrie est responsable de conflits, de souffrance, de désespérance et affecte fortement la santé des riverains.
Aujourd’hui, la politique de la nuit à Paris, telle qu'elle est conduite par la Maire et ses Adjoints, crée beaucoup plus de pollution sonore qu’elle n’en supprime. Prenons comme exemple deux cas récemment cités par Frédéric Hocquard, Adjoint en charge de la nuit : la Mutinerie et les cafés concerts. Concernant la Mutinerie, il était d’emblée évident que les locaux n’étaient pas adaptés au type d’utilisation prévue. Le bon sens aurait été de réaliser les travaux d’insonorisation avant toute poursuite de l’activité en cause plutôt que de faire subir aux riverains des mois et des mois de nuisances sonores avec leur cortège de mains courantes, de plaintes, de tensions pour qu’enfin la Préfecture de police donne l’injonction de faire ces travaux.
Encourager le développement de salles de café-concert sans aucunement vérifier que les lieux sont phoniquement adaptés, c’est de facto accepter la création de nuisances sonores que les riverains mettront des années à faire cesser.
Nous ne voulons plus de cette politique favorisant l’émergence de nouvelles pollutions sonores obligeant les riverains à s’engager dans d’interminables et épuisantes batailles. Cette politique est inique. Nous voulons simplement que les fêtes, les nouvelles créations se déroulent dans des lieux adaptés.
Nous sommes, nous aussi, attachés au fait que Paris soit une ville où l’on peut se divertir la nuit, mais nous sommes tout autant attachés à la possibilité de bien dormir. Nous sommes convaincus que ces objectifs sont compatibles à condition de mener une politique équilibrée investissant autant d’énergie et de moyens dans le développement d’activités nouvelles que dans la protection de la santé de ceux qui doivent dormir.
Nous voulons un système parfaitement transparent privilégiant la prévention et la détection précoce des nouveaux foyers de pollutions sonores, quelle qu’en soit la cause. Nous voulons une obligation de résultat facilement mesurable par l’enregistrement des niveaux sonores. Nous voulons un circuit court de résolution des problèmes en cas de manquement.
À la différence de la pollution atmosphérique dont les causes sont multiples et peuvent être géographiquement très éloignées de ceux qui la subissent, la pollution sonore a toujours une cause locale parfaitement identifiable et mesurable. Cette particularité rend les prises de décisions locales immédiatement efficaces, pour peu qu’il y ait la volonté politique de la réguler.
Disposer, en temps réel, des mesures de niveaux sonores en toute transparence pour tous est indispensable et nécessaire pour organiser une prévention, détecter rapidement l’émergence d’un nouveau foyer de pollution ou suivre l’efficacité des mesures prises pour réguler une pollution existante. C’est possible en généralisant la pose de sonomètres type « Méduse » de Bruitparif dans les lieux nécessitant ces mesures. Cela implique que la Marie de Paris rééquilibre ses attributions budgétaires en augmentant fortement celles dédiées à la lutte contre la pollution sonore.
Ces mesures doivent être l’outil central de travail de commissions locales de concertation. Ces commissions, nouvelles, impliquent la mutation des actuelles commissions de régulation des débits de boisson (CRDB) en commissions locales de régulation des pollutions sonores. Les cinq CRDB parisiennes en place à ce jour n’ont jamais recours à l’enregistrement des niveaux sonores en temps réel qui est pourtant le seul critère objectif de mesure de résultat. Elles s’intéressent uniquement aux débits de boissons alors qu’elles devraient également traiter des espaces publics comme les berges du canal Saint-Martin, la place de la République ou le Champ de Mars.
Elles commencent par une phase de concertation mais celle-ci est illimitée dans le temps alors qu’elle devrait être de durée prédéfinie pour obliger à trouver des solutions avant l’application de sanctions. Enfin, elles sont totalement opaques pour les riverains qui en sont exclus. De nombreuses villes (Bordeaux, Nantes, Rennes…) ont mis en place des CRDB : toutes invitent les riverains à y participer, Paris est la seule exception.
Après la phase de concertation, doit venir le temps des sanctions pour ceux qui restent des pollueurs. Les sanctions sont indispensables mais celles applicables aujourd’hui ne sont plus adaptées. Il est nécessaire d’étudier sans délai la mise en place d’un modèle progressif type «permis à points» sur le modèle de celui en vigueur à Genève : sanctions de sévérité croissante, rapides à mettre en œuvre sur des critères facilement objectivables et dont le dernier niveau est la fermeture administrative.
Cette nouvelle politique garantissant un équilibre entre les deux objectifs recherchés pour la nuit à Paris - un Paris festif mais protégeant la santé de ceux qui doivent dormir - peut être mise en œuvre rapidement. Elle doit s’accompagner d’une campagne d’information et de sensibilisation aux méfaits de la pollution sonore et à l’importance d’un sommeil de qualité la nuit.
Concernant la pétition récemment signée par Monsieur Hocquart en tant que représentant de la Mairie de Paris (voir la dernière newsletter du Conseil de la nuit), nous maintenons que la mairie de Paris ne doit pas signer une telle pétition sauf à en cautionner tous les termes et toutes les revendications. Qualifier les fermetures administratives décidées par la préfecture de police de roulette russe est choquant et inacceptable. Instrumentaliser un cas particulier pour habilement demander la suppression des fermetures administratives extra judicaires est inconvenant. Réduire, de façon générale, la responsabilité des établissements à une obligation de moyens et pas de résultat est en opposition totale avec ce qu’attendent les habitants de Paris. Concernant la pollution sonore, pour protéger les clients et les riverains, nous demandons une obligation de résultats.
Vous pensez, comme nous, que la lutte contre la pollution sonore à Paris est un enjeu aujourd’hui largement sous-estimé et minimisé par l’équipe municipale actuelle, vous pensez que la prochaine équipe municipale, quelle qu’elle soit, doit s’engager résolument dans la lutte contre cette pollution : alors dites-le ! Diffusez ces idées, écrivez, twittez, tchatez, commentez et diffusez cet article. Plus nous serons nombreux à nous exprimer, plus nous aurons de chances d’être entendus.
Respectueusement
Bertrand Lukacs
Président
Association Habiter Paris
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