De création récente, l 'association "Habiter Paris", dont "Vivre le Marais !" est membre, est présidée par le Dr Bertrand Lukacs. Elle a pour premier objectif de défendre les parisiennes et parisiens des agressions sonores et des dérives nocturnes qui perturbent gravement leur vie quotidienne. Avec la "lettre ouverte" qui suit, adressée au Préfet de police et à la Maire de Paris, l'association propose une "feuille de route". Il est important que tous ceux qui subissent ces nuisances se fassent connaitre et apportent leurs témoignages. "Vivre le Marais !" est heureuse de diffuser cette lettre qui ouvre une voie nouvelle à la défense de la qualité de vie des parisiens :
Pour une politique ambitieuse de lutte contre le bruit
Lettre ouverte à Madame Hidalgo, aux prochains candidats à la Mairie de Paris,
à Monsieur le Préfet de Police de Paris
Nous demandons à l’équipe municipale de s’engager résolument dans une politique de lutte contre le bruit à Paris avec en priorité, le bruit la nuit.
Dans la perspective du Paris de demain, la lutte contre la pollution ne doit pas se limiter à la seule pollution atmosphérique, elle doit intégrer activement la lutte contre le bruit, deuxième pollution des villes (OMS), avec en priorité le bruit la nuit. Bien dormir la nuit n’est pas une simple question de confort, c’est une nécessité physiologique. Les effets délétères de la privation de sommeil, largement documentés aujourd’hui, sont régulièrement relayés par les médias. Il s’agit d’un enjeu de santé publique que plus personne, habitants comme autorités, ne peut ignorer. Très récemment, le 10 octobre, le bureau régional de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l'Europe a publié de nouvelles lignes directrices[i] relatives au bruit dans l'environnement et rappelé une nouvelle fois aux politiques combien il est important de mettre en place des politiques efficaces.
A Paris, il y a urgence, car durant cette mandature, le niveau sonore de certains quartiers, certaines rues, certaines places, certains quais s’est très gravement dégradé rendant les nuits insupportables pour les habitants.
Nous comprenons qu’il soit important pour Paris de développer une politique de la nuit. Cette politique devrait être équilibrée : permettre le développement de nouvelles activités nocturnes tout en assurant une meilleure protection de la qualité du sommeil des habitants. C’est tout à fait possible, ces deux axes ne sont pas contradictoires. Certaines grandes villes européennes comme Rotterdam ou Genève parviennent à les concilier.
Force est de constater que la politique actuelle de la nuit privilégie de façon résolument asymétrique le développement de la vie festive nocturne sans régulation efficace pour le sommeil des habitants : non maîtrise des terrasses de café, musique amplifiée, occupation sauvage de l’espace public et augmentation considérable des incivilités, nuisances et accidents liés à l’hyper-alcoolisation et consommation d’autres substances. L’alcool désinhibe les comportements et est un puissant diurétique, aussi certaines rues se transforment la nuit en théâtres de vociférations incontrôlées et vastes pissotières à ciel ouvert. C’est insupportable pour les habitants et inacceptable car au delà des nuisances et des accidents, c’est laisser cette population souvent jeune devenir très vulnérable et se mettre elle-même en danger.
Un autre facteur contribue à notre désespérance, nous les habitants de Paris qui demandons juste à pouvoir dormir normalement. Il existe, aujourd’hui, une autre asymétrie particulièrement choquante : l’asymétrie de traitement entre ceux qui sont responsables des nuisances et ceux qui les subissent. Autant il est anormalement facile de créer des nuisances en faisant fi des réglementations existantes, autant il est extrêmement difficile pour ceux qui les subissent de se faire entendre alors qu’ils ne demandent que le respect de la réglementation. Pourquoi cette asymétrie, comme si, au regard de ce qui fait le socle de la démocratie, le respect des lois et règlements, il existait deux poids deux mesures.
Il est urgent de prendre en compte les plaintes des habitants et de mettre fin à ces dérives afin d’éviter des phénomènes extrêmes de radicalisation ou des manifestations de rejets massifs comme à Barcelone ou Budapest.
Diverses tentatives de régulation sont expérimentées à Paris (Conseil de la nuit, Pierrots de la nuit, Commissions de régulation des débits de boissons). Aucune ne fait preuve d’une efficacité perçue par les riverains, avec pour résultat un effet contraire à celui escompté : les espoirs déçus engendrent de nouvelles frustrations ; les riverains sont de plus en plus nombreux à durcir leur attitude et à rejeter les politiques mises en place auxquelles ils ne croient plus.
De ces tentatives et de l’étude de modèles adoptés par des villes européennes comme Genève et Rotterdam, nous faisons quatre propositions pour rétablir la confiance et essayer de mettre en place un dispositif de régulation plus efficace.
- Clarifier les responsabilités : Il faut un maître d’œuvre unique, responsable de la régulation du bruit et de la tranquillité. C’est d’autant plus important à Paris où règne une segmentation quasi ubuesque de répartition des tâches entre mairies, Préfecture de Police, DPSP [mairie de Paris], commissariats d’arrondissement et même syndicats professionnels… Nous, nous pensons que c’est au premier élu, au Maire, en relation étroite avec la Préfecture de Police de Paris, que revient la responsabilité de réunir les parties concernées par la résolution des problèmes. Sans une réelle volonté politique de rééquilibrer les nuits et de mettre en place une véritable politique de lutte contre le bruit à Paris, rien ne changera et nous continuerons à être « promenés » d’une administration à l’autre avec le sempiternel refrain : c’est pas moi, c’est l’autre.
- Transparence : La transparence est indispensable : l’identification des problèmes et le suivi des actions mises en œuvre doivent se faire en toute transparence. Cela implique une réelle collaboration avec les habitants pour établir – ou rétablir - la confiance entre autorités et administrés. La cartographie des lieux à problèmes ainsi que le suivi précis et daté des actions entreprises par chacun (mairies, police, DPSP) doit se faire en partenariat étroit. La transparence, en d’autres termes la bonne information des habitants, permet de désamorcer les conflits et les frustrations qui naissent souvent de la méconnaissance des actions entreprises par les autorités. Rien ne peut être équitablement mis en place sans ce premier relevé. Ce maillon manque à Paris. Le mettre en place est aujourd’hui une urgence.
- Un circuit court : Fonctionner en circuit court, c’est-à-dire raccourcir le temps des démarches administratives et de l’application des sanctions est indispensable : les nuisances subies par les riverains doivent être prises en compte dès leur signalement et traitées sans délai. Non seulement cela évite qu’elles dégénèrent ou s’aggravent et deviennent de plus en plus difficiles à combattre, mais le poids ainsi donné à la parole des riverains et le rétablissement de l’ordre créent un climat de confiance et d’apaisement. C’est l’intérêt de tous, y compris de ceux qui sont responsables des nuisances. L’exemple de la ville de Rotterdam est à ce titre riche d’enseignement. Il doit y avoir un temps de conciliation, mais sa durée doit être limitée et connue de tous. Passer ce délai, si aucune amélioration n’est constatée, des sanctions doivent être appliquées, progressives, par paliers, sur un modèle (adapté à notre législation) du « permis à point » mis en place à Genève. Ce couple « phase de conciliation limitée dans le temps puis, à défaut d’amélioration, sanctions graduées connues de tous » est absolument nécessaire.
- Des indicateurs de résultats: Nous en avons assez de nous entendre dire, inlassablement, que nous sommes entendus alors que nous constatons que la situation s’aggrave. Nous voulons des indicateurs de résultat pour mettre fin à ces palabres interminables qui ne s’appuient sur aucune mesure objective. Il existe des indicateurs indirects très performants pour mesurer les incivilités dans les rues. Le nombre de passages en cellule de dégrisement ou d’hospitalisations pour coma éthylique devrait être connu. Enfin et surtout le niveau sonore dans les rues devrait être plus largement mesuré pour tenir compte des seuils préconisés par l’OMS. L’expérimentation mise en place en partenariat par Bruitparif et la Mairie de Paris [ii] permettant de suivre en temps réel le niveau sonore de certains quartiers va tout à fait dans ce sens, c’est un premier pas positif ; nous attendons maintenant d’analyser ensemble les résultats de ces mesures et de connaitre les décisions de régulation qui en découleront.
Sur ces propositions, nous souhaitons être un partenaire de travail avec la Mairie de Paris et la Préfecture de Police de Paris.
Parce que nous pensons que la lutte contre le bruit à Paris doit être un axe important de la politique à mettre en place demain, nous souhaitons en discuter avec tous les prochains candidats à la Mairie de Paris.
Et nous appelons tous les habitants de Paris qui souffrent du bruit à nous rejoindre et nous transmettre leur témoignage : [email protected].
Docteur Bertrand Lukacs
Association Habiter Paris
[email protected]
[i] http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0008/383921/noise-guidelines-eng.pdf?ua=1
[ii] https://medusa-experiment.bruitparif.fr/